Des lames à couper le souffle : le lien des couteaux japonais avec la cuisine

Les couteaux japonais ont su capter l’attention aussi bien des cuisiniers amateurs enthousiastes que des professionnels de la restauration, ce qui explique qu’un grand nombre de touristes au Japon espèrent rapporter avec eux une lame japonaise en guise de souvenir utile de leur séjour.

Il n’y a pas de meilleur endroit pour se mettre à la recherche d’un tel objet que le fameux quartier d’ustensiles de cuisine de Tokyo, Kappabashi, qui se situe à seulement quelques pas des attractions touristiques d’Asakusa. Parmi les nombreuses boutiques destinées aux restaurateurs, on trouve Kama-asa, un magasin d’ustensiles de cuisine et de couteaux établi en 1908 et géré par une seule et même famille depuis quatre générations. Kama-asa est spécialisé dans les couteaux aux designs simples, mais hautement fonctionnels, fabriqués par des artisans japonais. L’enseigne a même ouvert une antenne à Paris.

La boutique de couteaux Kama-asa à Kappabashi est toujours remplie de clients à la recherche du couteau japonais idéal.

Nous avons rencontré Jérémy Escudero, l’un des experts et affûteurs de Kama-asa, pour nous entretenir avec lui de ce qui rend les couteaux japonais uniques et de l’influence de leurs lames sur la cuisine (et inversement) ainsi que pour lui demander des conseils sur la manière de sélectionner les meilleurs couteaux en fonction des besoins.

Jérémy Escudero, employé de Kama-asa, est passionné par la fabrication artisanale des couteaux japonais.

Pour faire simple, ce qui distingue les couteaux japonais des autres est qu’ils n’ont qu’un seul tranchant. Bien que cela les rende plus fins et un peu plus fragiles que leurs homologues occidentaux, plus épais et à double tranchant, ce choix n’est pas sans raison. « Lorsqu’on les utilise pour couper des légumes ou du poisson, les incisions faites par la lame à simple tranchant se referment après la découpe, permettant de capturer l’umami et la saveur à l’intérieur des ingrédients », nous explique M. Escudero. Cela se traduit par des aliments plus savoureux et avec une meilleure texture, du fait que leurs cellules n’ont pas été divisées, comme elles l’auraient été avec un couteau à double tranchant.

Une autre caractéristique de ces lames à simple tranchant est leur forme qui guide la main pour couper de façon légèrement inclinée, ce qui est essentiel pour découper le poisson. Cela semble logique, quand on pense que la plupart des plats japonais traditionnels sont à base de poisson et fruits de mer ainsi que de légumes, et que la viande n’était autrefois pas très répandue dans les assiettes nippones.

Les lames japonaises n’ont qu’un seul tranchant, les rendant plus aiguisées et permettant des coupes nettes. (Photo : KAMA-ASA)

Au cours de l’ère Meiji (1868-1912), la viande a commencé à occuper une place plus importante dans le régime alimentaire des Japonais. Les cuisiniers ont alors essayé d’utiliser des couteaux de type occidental à double tranchant, mais les trouvaient généralement difficiles à manier. Ceci a mené au développement du couteau polyvalent santoku, une combinaison du traditionnel couteau rectangulaire à légumes nakiri et du couteau de chef de type occidental (aussi appelé gyuto en japonais). Sa large lame mesure normalement entre 16 et 18 cm, et se resserre en une pointe fine qui permet un contrôle très précis.

Dans les cuisines des professionnels de la restauration au Japon, on est susceptible de trouver de nombreux couteaux aux usages plus spécifiques. Le couteau deba est peut-être celui qui présente la plus grande différence entre Japon et Occident en matière de techniques de découpe du poisson. Les couteaux occidentaux utilisés pour les filets de poisson sont fins et très souples, puisqu’ils servent à détacher la chair des os et à retirer la peau. La pointe du couteau japonais deba est plus triangulaire et épaisse, peut être utilisée pour couper même les os et est essentielle à la technique de filetage sanmai oroshi, qui occupe une place très importante dans cette cuisine grandement basée sur le poisson. Ce couteau plus robuste permet aux cuisiniers de séparer la chair de la colonne vertébrale en deux filets, tout en minimisant les pertes.

Les couteaux deba ont été pensés pour couper le poisson en filets. (Photo : KAMA-ASA)

Dans les restaurants de sushi, vous ne manquerez pas d’apercevoir les longs et fins couteaux yanagi, que les chefs manient habilement pour trancher le poisson d’un seul mouvement sans endommager la chair, secret de ces morceaux de sushi et de sashimi qui fondent dans la bouche.

Un cuisinier en train de couper des morceaux de sashimi à l’aide d’un couteau yanagi. (Photo : KAMA-ASA)

Même si la vaste gamme de lames proposées dans les vitrines de Kama-asa peut vous inciter à acheter un couteau pour chaque utilisation, qu’il s’agisse de couper des fruits ou encore de trancher des nouilles soba, M. Escudero souligne que les cuisiniers amateurs n’ont réellement besoin que de deux couteaux.

« Un couteau tout usage, dont la lame mesure généralement entre 12 et 15 cm, est ce qui vous servira à éplucher ou hacher les plus petits ingrédients, tels que les herbes ou l’ail », nous fait-il remarquer. « Pour tout le reste essentiellement, un couteau de chef ou un couteau santoku suffira. »

Alors comment choisir ? « Si vous avez tendance à couper du haut vers le bas, le couteau santoku vous conviendra mieux. Si au contraire vous coupez avec un mouvement de balancement, le couteau de chef plus arrondi s’avérera sûrement plus approprié. »

M. Escudero nous rappelle à plusieurs reprises que lors du choix d’un couteau, son utilisation et les sensations qu’il procure sont bien plus importantes que ses critères esthétiques. « Il doit être agréable en main et vous sembler naturel à tenir. C’est comme des chaussures : si elles ne sont pas confortables ou que vous n’êtes pas à l’aise pour marcher quand vous les portez, vous ne les mettrez pas et continuerez d’enfiler une vieille paire usée à la place », continue-t-il en riant. « Un couteau facile à manier et bien affûté est également plus sûr. »

Il nous fait aussi remarquer qu’il est important d’opter pour le bon type de métal, qui corresponde au mode de vie et à l’aptitude à l’entretenir de son utilisateur. « De nombreuses personnes pensent qu’elles devraient choisir des lames en carbone forgé, mais elles nécessitent beaucoup d’entretien. Un bon couteau en acier inoxydable est plus simple à préserver, et il n’y a pas besoin d’opter pour des couteaux très chers si c’est pour un usage domestique ordinaire. »

Tout en prônant la simplicité, il fait un clin d’œil à ses racines françaises et nous montre l’objet qui fait sa fierté : un couteau à pain fabriqué à la main. Associant le meilleur de l’artisanat japonais et des traditions européennes, il représente une nouvelle étape dans l’évolution des couteaux japonais.

Comment sont fabriqués les couteaux japonais (couteaux à simple tranchant)
https://www.youtube.com/watch?v=t-18E6ZOsPs
Share this article