Focus sur le meilleur des bienfaits des montagnes, des cours d’eaux et de la mer de Toyama
Située dans la baie qui porte le même nom qu’elle, la préfecture de Toyama est une terre de vastes champs verdoyants sur les bords de l’océan, derrière lesquels se dressent d’époustouflantes cimes enneigées et escarpées. Les plus hauts sommets de la chaîne de montagnes Tateyama culminent à plus de 3 000 mètres d’altitude, et le pic le plus élevé, le mont Oyama, est l’une des trois montagnes les plus sacrées dans le shinto, la religion autochtone du Japon. La neige fondue de ces sommets qui dévale les pentes dans des rivières rocailleuses et abreuve également les rizières et champs de légumes des plaines en contrebas, avant de se jeter dans la baie de Toyama, une étendue d’eau célèbre pour ses poissons et fruits de mers uniques et très recherchés. Dans un coin reculé de Toyama se trouve le village de Toga, qui abrite l’auberge et restaurant L’évo.
Malgré le cadre magnifique des lieux, Eiji Taniguchi, propriétaire et chef de L’évo, n’a pas été si impressionné que cela par Toyama lorsqu’il y est venu pour la première fois. Néanmoins, en visitant un village dans le but d’y cueillir des légumes sauvages, il s’est rendu compte que c’était un endroit charmant, bénéficiant d’une nature immaculée et de sublimes paysages japonais. Les sansai, ou légumes sauvages des montagnes, sont généralement ramassés par les Japonais non seulement comme signe traditionnel annonciateur du printemps, mais également pour leur délicieuse saveur unique. Ils ont aussi amorcé un changement dans la façon de voir les choses du chef Taniguchi.
« Quand je dis ne pas avoir été intéressé par Toyama, j’entends en fait par cela que je ne connaissais rien au sujet de la préfecture », explique-t-il. « Mais deux ou trois ans plus tard, après m’être constitué un réseau avec certains de ses habitants, j’ai commencé à m’en sentir plus proche. J’adorais vraiment cuisiner, mais je me suis rendu compte que je n’avais jamais réfléchi à la façon dont les légumes étaient cultivés. Toyama bénéficie de montagnes et de la mer à proximité, et on trouve de nombreux produits traditionnels, notamment le verre et la céramique, qui y sont fabriqués. »
Il a donc pris la décision de s’établir à Toyama en 2010 et d’y préparer des plats à partir des meilleurs ingrédients locaux. Il a ouvert un restaurant cette année-là, obtenu sa première étoile au Guide Michelin en 2016, puis a déménagé dans le village de Toga en 2020, où il a fondé L’évo, une auberge qui propose le couvert pour le dîner ainsi que la possibilité de passer la nuit dans l’un trois chalets réservés aux clients. Il a depuis lors été nommé Chef de l’année par le Guide Gault&Millau pour les régions de Tokyo et Hokuriku (en 2017 et 2022), et il s’est vu décerner une seconde étoile au Guide Michelin Toyama Ishikawa en 2021.
Aujourd’hui, L’évo n’est pas juste un restaurant servant une cuisine incroyable, mais également un établissement qui met sublimement en valeur les ingrédients exceptionnels produits dans la préfecture de Toyama et dans la région de Toga, y compris le gibier sauvage de plus en plus populaire et qui est abonde dans cette étendue de montagnes boisées. « En principe, nous ne cuisinons pas de porc ou de bœuf dans notre restaurant », précise-t-il. « Nous utilisons de la viande de sanglier sauvage, d’ours, de chevreuil, de faisan ou même de tanuki (chien viverrin), que je me procure auprès de chasseurs locaux et que je transforme moi-même. Je veux que mes hôtes puissent profiter de l’ensemble des vraies saveurs de Toga. »
Un autre point important pour L’évo et le chef Taniguchi est le réseau qu’il a su se constituer, et qui comprend des artistes, des artisans ainsi que des producteurs locaux d’ingrédients de qualité supérieure, notamment du poisson, du fromage de chèvre et des vins, bières et sakés locaux.
La baie de Toyama est connue comme étant l’une des meilleures sources de poissons et de fruits de mer du Japon, et abrite certains produits qu’on ne trouve qu’ici. « Étant donné que nous sommes retirés au fond des montagnes, les gens pourraient être surpris en venant ici de découvrir qu’outre des matières premières locales, nous utilisons également des produits issus de la mer », commente le chef Taniguchi. « La qualité des poissons et fruits de mer de Toyama est exceptionnelle. Je travaille avec la poissonnerie Kurosaki de la ville de Toyama, un grossiste qui me fournit des buri (sériole du Japon), des crevettes blanches – une espèce propre à Toyama absolument délicieuse – et des hotaru ika (littéralement “calmar luciole”, un autre produit très local). » Ces derniers, des calmars extrêmement bioluminescents, vivent dans les eaux profondes la plus grande partie de l’année, mais remontent à des profondeurs moindres pendant leur saison de reproduction au printemps, devenant alors une attraction touristique puisqu’ils illuminent l’océan. Et il ne faut pas oublier qu’ils constituent en plus un mets succulent de Toyama. « En tant que cuisinier, je veux préparer des plats qui font ressortir les meilleures qualités du poisson », nous dit-il.
Un autre commerce local qui fait partie du réseau de L’évo est Y & Co., un producteur de fromage de chèvre de la région de Kurobe, qui se trouve au bord du fleuve du même nom. Il n’y a que très peu de fromage de chèvre produit au Japon, c’est donc une chance unique pour notre chef. « Je le trouve vraiment délicieux », nous confie-t-il. « C’est la première fois que j’ai eu vent de fromage produit dans cette région. Lorsque les gens y goûtent, ils sont plutôt étonnés d’apprendre qu’il s’agit de fromage de chèvre local, mais ils l’apprécient quand même. » Il est à noter que ce fromage de chèvre est fabriqué avec du sel de mer extrait des profondeurs de la baie de Toyama et qu’il a été couronné de nombreux prix nationaux et internationaux.
La nourriture de qualité mérite d’être associée à d’excellentes boissons, et là aussi M. Taniguchi entretient des liens étroits avec des producteurs à l’échelle locale, ce qui lui permet de proposer une expérience exhaustive des saveurs de Toyama. Les vins qui figurent à la carte proviennent du vignoble local Says Farm. Néanmoins, comme nous sommes au Japon, il est impératif de proposer une sélection de bons sakés.
« Mon préféré est le Kachikoma », nous indique M. Taniguchi, mentionnant une brasserie de la ville de Takaoka. « Et le Masuizumi, le saké principalement servi dans notre restaurant, se marie à merveille avec nos plats. J’aime aussi utiliser du Sanshoraku (de la ville de Nanto, non loin de L’évo). Il est fabriqué selon des méthodes traditionnelles, ce qui en fait un merveilleux saké, très puissant, qui produit un effet retentissant. »
L’un des secrets des meilleurs sakés est évidemment l’eau : le saké est simplement de l’eau, du riz, de la levure et une moisissure appelée koji qui transforme l’amidon que l’on trouve dans le riz en sucre, lui-même ensuite utilisé par la levure pour générer de l’alcool. Grâce à ses hautes montagnes enneigées, Toyama bénéficie d’un excellent apport en eau de qualité, ce qui est un facteur déterminant non seulement pour le saké, mais aussi pour l’ensemble des plats. « La distance qui sépare le sommet des montagnes, le fleuve, puis l’océan, est plutôt courte », continue M. Taniguchi. « L’eau qui en découle dispose d’un bon équilibre en minéraux et se déverse en grande partie dans l’océan. Nous avons besoin de beaucoup d’eau pour cuisinier et je sais que celle que nous utilisons influe grandement sur notre façon de cuisinier ainsi que sur le goût de ce que nous préparons. C’est pour cela qu’elle est aussi importante pour nous. »
Alors, que trouve-t-on au menu de L’évo ? Si l’on s’y rend à la bonne saison, on peut y découvrir des plats qui mettent en vedette les sansai qui ont initialement attiré M. Taniguchi dans cette région, soit séchés, soit en garniture d’autres légumes printaniers produits à l’échelle locale, tels que des asperges. De la viande de gibier chassé dans la région, accompagnée d’herbes, de gonades d’oursins ou d’autres ingrédients, tous locaux, peut également figurer à la carte. Tous les plats sont préparés en toute simplicité, à partir d’une eau de qualité supérieure et d’une manière qui ne gaspille aucune nourriture ; le tout, nous précise-t-il, inspiré de ses expériences ici, dans les montagnes de Toyama.
« À la base, je fais de la cuisine française, et j’aime effectivement la culture européenne », explique M. Taniguchi. « Je croyais auparavant que plus j’acquerrais de technique, meilleure ma cuisine serait. En arrivant à Toyama, ma vision des choses a complètement changé. Plus j’en apprenais au sujet des ingrédients et meilleure ma cuisine devenait. Cette cuisine transmise dans la région doit servir de point de départ aux cuisiniers. »
« Ce à quoi nous accordons le plus d’importance, c’est notre volonté de véhiculer les charmes des montagnes et de la région », commente le chef Taniguchi. Ceci explique l’architecture unique des bâtiments, conçus par des membres du réseau du chef. Les assiettes, l’argenterie et même les tables et la décoration sont fabriqués par des habitants du coin, à partir de matériaux locaux.
Il s’agit en outre d’un ensemble unique, qui devrait certainement être apprécié aussi bien des visiteurs japonais qu’étrangers : un cadre rural magnifique et reculé ; une architecture remarquable ; des décorations et des couverts distinctifs ; et plus que tout, une cuisine de classe mondiale préparée par un chef reconnu, à base des meilleurs ingrédients de la région combinés les uns aux autres de façon unique et délicieuse. Cette expérience justifie largement un détour par les montagnes distantes de Toyama.
La région ne l’a peut-être pas impressionné de prime abord, mais Eiji Taniguchi et son établissement L’évo sont à présent des ambassadeurs de tout ce que la préfecture de Toyama a de meilleur à offrir.