Saveurs denses et polyvalence : l’expérience marmite donabe
Dans le passé lointain de la plupart des cultures, il était une époque à laquelle les gens se retrouvaient autour d’une marmite centrale pour prendre leurs repas, en partageant le contenu de façon communautaire. Bien que ce ne soit plus un style de repas très courant dans de nombreuses cuisines du monde, cette expérience dînatoire est toujours une façon répandue d’apprécier un repas au Japon. On appelle ce type de plat o-nabe et il consiste en divers ingrédients mijotés dans un bouillon traditionnel. Il s’appuie sur les vertus uniques d’un ustensile de cuisine connu sous le nom de donabe (marmite en terre cuite), le plus souvent mis à cuire sur un réchaud à gaz portable placé au centre de la table. Les convives se partagent les tâches de préparation, puis chacun se sert les aliments cuits dans sa propre assiette, avant de les déguster tels quels ou de les tremper dans diverses sauces.
Depuis son domicile à Los Angeles, Naoko Takei-Moore s’est donné pour mission de promouvoir les dîners autour d’un donabe depuis presque vingt ans, après avoir eu une révélation lors d’un voyage au Japon en 2006. Elle a été élevée au Japon, où le o-nabe pour le dîner faisait partie intégrante de la vie de famille, puis elle a peaufiné ses compétences de cuisinière grâce au programme culinaire Le Cordon Bleu à Los Angeles. « Lors de mon séjour, j’ai dégusté du riz cuit dans un cuiseur à riz donabe spécial, fabriqué dans la région d’Iga dans la préfecture de Mie », nous raconte-t-elle. « J’ai été extrêmement émue par la différence de goût de cet aliment pourtant si simple. »
Si la nourriture japonaise était alors déjà populaire dans de nombreuses grandes villes des États-Unis, elle se limitait principalement aux sushis, ramens, tempuras et autres plats typiquement japonais. Mme Takei-Moore s’est sentie poussée – « par un sentiment de responsabilité personnelle », décrit-elle – à partager les plaisirs des plats maison préparés au donabe. « Je suis devenue une fervente utilisatrice du donabe, mettant à profit ce récipient traditionnel ordinaire pour préparer un riz incroyable et des plats simples. »
Elle a commencé à donner des cours de cuisine au donabe, puis elle a par la suite créé sa propre entreprise, Toiro, pour importer des donabe du Japon. En 2015, elle a coécrit un livre de recettes agrémenté de photographies somptueuses intitulé Donabe: Classic and Modern Japanese Clay Pot Cooking. Grâce à la publication d’articles sur sa cuisine et ses produits donabe dans différents magazines – du New York Times à Condé Nast Traveler, en passant par Bon Appetit – elle parvient à faire intégrer le terme donabe dans le lexique culinaire.
Il existe un très large éventail de donabe disponibles, certains coûtant plus de 1 000 dollars et d’autres une simple fraction de ce prix. Certains des modèles les plus abordables sont toutefois faits de matériaux différents, c’est pourquoi Mme Takei-Moore recommande ceux qui sont fabriqués à la main, et plus particulièrement ceux qui proviennent de la région d’Iga. Cette région formait à une époque le lit du lac Biwa, la plus grande étendue d’eau du Japon, et l’argile de son sol renferme donc de nombreux micro-organismes fossilisés. Il en résulte une argile particulièrement poreuse qui confère aux marmites en terre cuite leurs vertus remarquables. « Cette argile poreuse implique plus de temps pour que la marmite chauffe », décrit Mme Takei-Moore. « Mais une fois que la chaleur s’y est accumulée, le plat reste chaud pendant très longtemps. Ce processus thermique lent est essentiel au développement de saveurs exceptionnelles, telles que l’umami. Même une fois le feu éteint, le processus de refroidissement est très lent. »
Les donabe sont souvent utilisés pour cuire du simple riz blanc. Mme Takei-Moore nous explique que ces lents processus de chauffage et de refroidissement sont idéaux pour conférer au riz japonais une excellente texture. « On dit souvent que “le riz a un goût doux”, en faisant référence à la manière dont ses saveurs se développent en plusieurs couches. »
Mais ce qui intéresse principalement Mme Takei-Moore, c’est d’étendre les possibilités des plats préparés au donabe au-delà du riz japonais. Ces marmites en terre cuite sont en effet tout aussi adaptées à faire ressortir les saveurs des ingrédients, en les faisant mijoter ou revenir à la vapeur. « J’explique souvent aux gens qu’il n’y a pas vraiment de règles sur ce qu’on peut préparer dans les donabe ou par quelle méthode le faire », nous dit-elle. « La seule chose à éviter c’est d’y faire de la friture, car la terre cuite étant poreuse, elle absorbera l’huile. À part cela, laissez libre cours à votre imagination. » Les fans du donabe forment une communauté très diversifiée, au sein de laquelle elle a entendu évoquer des recettes variées, allant du riz perse au safran au mole mexicain, en passant par un plat norvégien de viande de renne. « J’ai aussi vu beaucoup de plats de style méditerranéen à base de produits de la mer, qui sont très rayonnants et colorés. »
Parmi les divers plats japonais traditionnels préparés à la marmite, elle en recommande un appelé yosenabe. Le bouillon vraiment élémentaire utilisé pour le yosenabe est du dashi, le bouillon japonais typique, qui est simplement assaisonné avec du mirin et de la sauce soja. Les ingrédients incluent du tofu, des légumes, tels que des champignons ou du chou chinois, ainsi qu’une source de protéines, par exemple du poulet, du porc ou des poissons et fruits de mer, pour ajouter de la saveur au bouillon « Je conseille également aux gens de conserver le bouillon qui reste à la fin, pour faire ce qu’on appelle le shime, qui pourrait se traduire par “conclusion” », continue Mme Takei-Moore. « On y fait cuire du riz ou des nouilles, que l’on mange ensuite avec le bouillon, évitant ainsi tout gaspillage. »
Une autre recette populaire à base de riz qu’elle présente dans son livre est le riz au saumon et au hijiki (algue brune). Il s’agit là aussi d’une recette simple, qui consiste en du saumon fumé et de l’algue hijiki cuits dans du dashi avec du riz. « Si vous voulez quelque chose d’apparence plus festive pour ravir vos invités, vous pouvez, par exemple, ajouter un peu d’œufs de saumon par-dessus. », conseille-t-elle. « Ainsi vous avez du riz, des protéines et de l’algue, pour un plat encore plus savoureux. »
Les haricots au chili façon donabe sont l’un des plats occidentaux recommandés par Mme Takei-Moore. « On peut aussi y faire plein de ragoûts », continue-t-elle. « J’ai même fait du ragoût de dinde, en ajoutant des lentilles, des pommes de terre et du chou frisé à des restes de dinde de Thanksgiving, le tout dans un bouillon préparé avec la carcasse de la dinde. Cela s’est avéré excellent. »
On trouve sur sa chaîne YouTube une vidéo décrivant comment utiliser un nouveau donabe, et nous lui demandons donc si elle aurait d’autres conseils à partager avec nous, plus particulièrement en ce qui concerne la cuisson du riz. Elle souligne l’importance de rincer le riz afin de retirer toute poussière ainsi que les effets de l’oxydation à sa surface. « Mais le plus important si vous voulez préparer le riz parfait, c’est de bien peser les ingrédients », dit-elle. « Pour la plupart des plats, je ne pèse pas grand-chose et juge la plupart des quantités à l’œil. Mais il faut bien peser le riz sec et mesurer le volume d’eau si vous voulez obtenir le bon résultat. Ainsi, vous n’aurez pas à craindre de faire carboniser ou brûler le riz ; vous n’avez qu’à laisser le donabe faire son travail. »
Au Japon, les plats familiaux préparés au donabe sont généralement servis au centre de la table et mis à chauffer sur un réchaud à gaz portable. Selon Mme Takei-Moore, ces réchauds portables sont disponibles sur sa boutique en ligne ainsi que dans la plupart des épiceries asiatiques. En l’absence de réchaud, le processus de refroidissement lent du donabe permet de le faire chauffer sur une cuisinière, puis de se servir là, ou bien de transporter le plat chaud sur la table familiale. « Quelle que soit la méthode, le moment où l’on soulève le couvercle pour découvrir ce que renferme le plat est toujours excitant », remarque-t-elle.
Sa détermination à faire davantage connaître les donabe a eu d’intéressants résultats. Certaines familles lui ont par exemple fait part de la façon dont cuisiner au donabe a changé leur vie. « Je ne m’attendais pas à de tels retours », nous confie-t-elle. « Mais on m’a souvent dit que le repas autour du donabe était devenu une sorte de rituel le dimanche, au cours duquel les membres de la famille se retrouvaient régulièrement pour partager ce moment à manger ensemble. » Pour les personnes qui seraient intéressées par cette expérience collective, Mme Takei-Moore a quelques conseils très simples : « L’intérêt du donabe est de rendre des aliments simples plus savoureux », explique-t-elle. « Cela ne sert à rien d’essayer de réaliser une recette compliquée. N’ayez pas peur de vous lancer et commencez avec juste quelques ingrédients. Du tofu et des légumes, par exemple. Et profitez simplement de cette façon de cuisiner. »