À table autour d’un « nabe », le plat de l’hiver japonais

La cuisine « nabe » qui consiste à poser une grande marmite (pot) sur la table pour y préparer directement les aliments est en soi une ode à l’hiver. Viande, poisson, légume, riz, etc. : les nombreux ingrédients dont on peut se servir pour ce pot-au-feu japonais permettent de le parer de toutes sortes de couleurs. Appréciée en famille ou en compagnie de personnes avec lesquelles la simplicité prime, cette cuisine réchauffera aussi bien le corps que l’esprit. Nous allons ici vous introduire au monde des nabe, dont les préparations ont évolué en fonction des habitudes alimentaires et présentent des caractéristiques propres aux différentes régions du Japon.

Au Japon, l’habitude de préparer les aliments dans cet ustensile de cuisine qu’est le « nabe » ou marmite remonte à l’invention de la poterie à la période Jomon (il y a environ 15 000 à 2 500 ans). Au début, seul du sel était utilisé en préparant des pommes de terre, glands, etc. Mais à la période Nara (710-794), divers condiments venus de Chine parvinrent au Japon, ce qui permit de développer les recettes en cuisant également dans la marmite des légumes, de la viande, du poisson et d’autres aliments. On préparait d’abord le nabe sur un feu de bois, à même le sol en terre ou dans l’espace du foyer « irori ». Puis, dans la seconde moitié de la période Edo (1820-1850), on prit pour habitude de le consommer sur un « shichirin » (gril en terre cuite) posé dans la partie en tatami. À mesure que se développait la culture populaire, de nouveaux établissements ouvraient en proposant, par exemple, des « yudofu-nabe» (avec tofu bouilli), « dengaku-nabe » (avec du tofu et du konyaku) ou « dojo-nabe » (avec de la loche).

Lors de l’ouverture du Japon à l’extérieur durant l’ère Meiji (1868-1912) et sous l’influence de la culture occidentale, la consommation de viande, rare jusque-là, commença à se répandre dans la population. Le symbole de cette nouveauté était l’« gyu-nabe » ou nabe de bœuf. Aujourd’hui, si ce plat est mondialement connu sous le nom de « sukiyaki », il dérive en réalité du terme « suki » qui désigne une bêche. Ce serait une référence aux bêches usagées sur lesquelles on mettait de la volaille pour les préparer sur un feu. Remplaçant la volaille par de la viande de bœuf, le sukiyaki consiste à rôtir du bœuf dans une casserole en fer, à l’assaisonner avec une sauce corsée à base de sauce soja, sucre, saké et mirin, puis on trempe enfin une portion de viande dans un œuf cru avant de la goûter. De nos jours, puisqu’il emploie du bœuf finement persillée, le sukiyaki continue de figurer parmi les plats spéciaux savourés lors d’occasions spéciales.

En guise de viande pour le sukiyaki, on apprécie la viande persillée présentant un gras uniforme. Le poireau, la plante aromatique « shungiku » et le tofu grillé appartiennent aux ingrédients classiques.

La fine tranche de bœuf assaisonnée avec une sauce sucrée-salée est trempée dans un œuf cru.

Pendant l’ère Showa (1926-1989) sont apparus les réchauds à cartouche de gaz pour les tables (réchaud portable alimenté par une cartouche de gaz) en 1969, ce qui augmenta les occasions de se réunir autour d’un nabe en famille ou avec des amis pour partager un repas. Le nabe a depuis intégré la liste des plats appréciés à la maison. Il s’est également répandu dans les différentes régions en adoptant des couleurs locales. On peut distinguer quatre grandes catégories de nabe en fonction de l’assaisonnement.

Il s’agit premièrement de la préparation consistant à cuire les ingrédients dans de l’eau sans ajout de condiments (yudofu, mizutaki, shabu-shabu, etc.), deuxièmement les nabe employant un bouillon assaisonné (yose-nabe, uosuki, etc.), troisièmement ceux avec un assaisonnement marqué et une grande quantité d’ingrédients (sukiyaki, dote-nabe, etc.) et, en quatrième, ceux qui font mijoter longtemps dans un bouillon léger des ingrédients préalablement cuits. Parmi ces quatre types, on trouve une grande variété de nabe mélangeant des ingrédients tirant avant de spécialités régionales et avec des assaisonnements propres.

Dans le shabu-shabu, chaque convive saisit une à une de fines tranches de viande, qu’il cuit en les agitant doucement dans l’eau bouillante contenant de l’algue kombu. Avant de goûter la viande, on la trempe dans une sauce « ponzu » (à base d’agrume) ou une sauce au sésame. Outre les fines tranches de bœuf ou de porc, les diverses variations peuvent inclure de la sériole japonaise ou du crabe.

Pour le buri-shabu, la sériole japonaise qui se pêche surtout en hiver est découpée en lamelles et rapidement trempées dans l’eau bouillante avant d’être appréciées.

Parmi les innombrables façons de préparer un nabe, découvrons les recettes emblématiques connues dans tout le pays.

Ishikari-nabe
Voici un plat classique de l’hiver de Hokkaido, centré autour du saumon frais, une spécialité locale. Au bouillon élaboré à l’aide d’une algue kombu, on ajoute notamment du saumon frais coupé en morceau avec ses arêtes, du tofu, du poireau, des épinards, du chou et de l’oignon, puis on assaisonne finalement le tout avec du miso. Pour le poisson, on pourra également employer de la truite saumonée. Le plat peut encore être affiné en y intégrant du beurre pour faire ressortir la saveur.

Kiritanpo-nabe
Cette variante est originaire de la préfecture d’Akita, haut lieu de la riziculture. Les « kiritanpo » sont fabriqués en pilant du riz cuit dont on entoure des brochettes qui seront ensuite grillées. Le bouillon est préparé en mettant à bouillir de l’eau avec une algue kombu et du poulet et ses os. On y incorpore, par exemple, les kiritanpo, des champignons « maitake », du poireau, de la racine de grande bardane, du persil japonais ou de la fougère « zenmai », puis on ajoute du goût avec de la sauce soja ou du miso. Si vous préparez les kiritanpo chez vous, enroulez des brochettes avec du riz cuit pilé, grillez-les, puis faites les durcir en les refroidissant.

Dote-nabe aux huîtres
Un dote-nabe propose un style particulier pour apprécier le pot-au-feu, puisqu’on y recouvre le rebord de la marmite de pâte miso, que l’on va ensuite diluer dans le bouillon au fur et à mesure. Il s’agit d’une spécialité de Hiroshima célèbre pour son ostréiculture. On enduit de pâte miso le rebord de la marmite, puis ajoute les huîtres et les légumes. Le plat est ensuite consommé tout en diluant la pâte miso. En principe, l’eau des ingrédients suffit pour diluer le miso, mais on peut aussi ajouter du bouillon si cela ne suffit pas.

Mizutaki
Cette spécialité locale nous vient de la préfecture de Fukuoka où l’on consomme une grande quantité de volaille. Du poulet est coupé en morceau et mis dans la marmite avec les os et la peau pour y être longtemps mijoté. La saveur ainsi produite va suffire à apprécier le plat et rend presque inutile l’ajout de condiments. Dans la soupe épaisse et laiteuse, on met du poulet, du tofu ainsi que des légumes comme du poireau et du chou chinois, avant de manger le tout. Dans son bol, chaque convive à de la sauce ponzu, du radis blanc râpé, du piment en poudre, du poivre, de la pâte au yuzu épicée, etc. pour agrémenter ses bouchées comme il préfère.

Les plats de nabe permettent d’apprécier un bon repas aussi dans les périodes où l’on est très pris ou lors d’occasions qui rassemblent beaucoup de personnes. En particulier, le mizutaki est également facile à préparer par les débutants en cuisine, puisqu’il s’agit de cuire à l’eau du poulet, du tofu ainsi que des légumes, que chaque invité appréciera avec le goût qui lui plaît (sauce ponzu ou au sésame, condiments divers). Nous allons vous présenter quelques astuces importantes lors de la préparation d’un nabe, en prenant l’exemple du mizutaki.

Concernant tout d’abord l’ordre dans lequel ajouter les ingrédients dans la marmite, il faut commencer par ceux qui prennent le plus de temps à cuire. On mettra le poulet non désossé en premier puisqu’il va produire le bouillon, puis une fois que celui-ci ressort bien, on ajoutera les légumes. Coupez les légumes en morceaux faciles à manger. Une astuce consistera à couper les légumes qui possèdent des fibres solides de manière à sectionner celles-ci perpendiculairement, et les autres en suivant les fibres. Pour les légumes dont les épaisseurs des feuilles et du tronc sont différentes, par exemple chez le chou blanc, séparez ces deux parties, puis coupez les feuilles grossièrement et le tronc finement ; enfin, ne les ajoutez pas en même temps dans la marmite. Retirez et n’incorporez pas la base des champignons shiitake ou les tiges trop dures par exemple du shungiku. Pour les légumes à feuilles, faites-les cuire juste brièvement afin qu’ils gardent leur texture croquante. Puisque l’eau s’évapore et que le goût se concentre au fur à mesure du repas, n’oubliez pas jusqu’à la fin d’ajouter de l’eau et essayez de maintenir un même goût. Veillez à soigneusement écumer le bouillon pour éviter qu’il ne se trouble et exhale une mauvaise odeur à cause du jus venant des ingrédients. Une fois que vous avez commencé à manger, ne chauffez pas trop fortement et laissez bouillir à feu doux. Du fait qu’ajouter les ingrédients tous en même temps fera baisser la température du bouillon, introduisez-les petit à petit.

Pour pièce maîtresse de votre nabe, il importe de choisir des ingrédients principaux d’une grande fraîcheur. Soyez prudent, car si la viande ou le produit de la mer utilisé n’est plus suffisamment frais, le plat tout entier sentira mauvais. À la fin, par exemple, du mizutaki, yose-nabe ou uosuki, le bouillon restant est un vrai concentré de saveur. Nous vous recommandons d’ajouter à ce moment du riz cuit ou des nouilles udon. Le plat consistant à cuire du riz dans un bouillon s’appelle « zosui ». Vous pourrez l’arranger à votre goût en y ajoutant du fromage râpé à fondre, de la sauce nuoc mam ou de l’huile de sésame - parmi d’autres possibilités. Par un froid jour d’hiver, attablez-vous autour d’un pot-au-feu à la japonaise avec votre famille ou vos amis et profitez d’un moment de pur bonheur.

Ajoutez du riz au bouillon restant du nabe, mélangez-y également un œuf battu selon vos préférences, remettez le couvercle et laissez cuire jusqu’à ébullition afin de profiter d’un bon zosui.

Préparez chez vous un pot-au-feu japonais pour passer un moment avec votre famille ou vos amis !

Shabu-shabu
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Yutaka Okada (supervision)
École de cuisine Tsuji, instructeur en cuisine japonaise. Né dans la préfecture de Niigata en 1968. Après obtention de son diplôme, il travaille dans un établissement de cuisine Japonaise à Tokyo. Il rejoint ensuite l’école de Tsuji en 1994 en tant qu’instructeur. Sans jamais quitter son poste d’enseignant, il apparaît dans de nombreux médias, les plus notables étant la série télévisée "High School Restaurant" et "Miwotsukushi Ryôrichô". Il a également participé à la publication de livres tels que "Comment utiliser un couteau" ( éd. Natsume-sha).
https://www.tsuji.ac.jp/

Référence : Washoku Japan
Photos fournies par : photolibrary
Texte : Junko Kubodera

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