Saké du Pays de neige : un riz de qualité supérieure et des eaux cristallines

« Un long tunnel entre les deux régions, et voici qu’on était dans le pays de neige. L’horizon avait blanchi sous la ténèbre de la nuit. » Voici les premières lignes évocatrices de Pays de neige, un classique de la littérature écrit dans les années 1930 par Yasunari Kawabata, prix Nobel de littérature. Il y décrit la région d’Uonuma, dans la préfecture de Niigata, et les abondantes chutes de neige qui aujourd’hui encore recouvrent les terres – souvent sous une épaisseur de plusieurs mètres – pendant les mois froids de l’hiver.

La région est également connue pour le brassage du saké, une tradition qui s’appuie sur les bienfaits de son environnement, notamment ses fortes précipitations neigeuses. La tâche d’expliquer pourquoi et comment le paysage d’Uonuma est à l’origine de la qualité de ses sakés locaux revient à Timothy Sullivan, un aficionado du saké, basé dans le quartier de Manhattan, à New York. La première rencontre de M. Sullivan avec le nihonshu, ou saké japonais, s’est faite en 2005, avec du saké de la marque Hakkaisan – l’une des brasseries principales d’Uonuma – dans un restaurant new-yorkais de sushis, et l’accord de cet alcool avec les mets a non seulement capté son attention, mais également changé sa vie.

Timothy Sullivan, ambassadeur international de Hakkaisan, lors d’une dégustation de saké.

Au fur et à mesure que son penchant pour le saké se développait et s’approfondissait, il a pris la décision d’entamer une seconde carrière afin d’aider à populariser cette boisson alcoolisée. Pour cela, il lui fallait en apprendre davantage sur le sujet. « Je voulais vraiment passer du temps à travailler dans une brasserie de saké, en y effectuant un stage en tant que kurabito, un employé de la filière brassicole », nous confie-t-il. Il a fini par passer une année dans la brasserie Hakkaisan à Uonuma, où il y a étudié toutes les étapes du processus de préparation du saké, de la mouture du riz au pressage et à la mise en bouteille, en passant par la cuisson du riz et la préparation du moût.

Les caractéristiques des sakés d’Uonuma sont étroitement liées à la source d’eau partagée par de nombreux brasseurs. Formant une partie des Alpes japonaises, la région est montagneuse, fournissant aux brasseries une abondante source d’eau provenant de ruisseaux de montagne et des eaux de fonte. « Cette eau se situe parmi les plus douces sur l’échelle de dureté de l’eau, conférant habituellement au saké une saveur très nette et très vive, du côté plutôt sec de l’éventail des saveurs », explique M. Sullivan. « L’eau est la source du terroir, ce qui lui procure cette sensation d’appartenance à Uonuma. »

Les eaux de fonte qui forment les ruisseaux de montagne sont une source d’eau hautement estimée d’Uonuma. Le caractère doux de cette eau donne naissance à des variétés de saké nettes et vives.

Il attire notre attention sur le fait que l’emplacement d’Uonuma, en plein centre de la région rizicole de Niigata, est un autre aspect essentiel. « L’histoire de la culture du riz à Uonuma remonte à plusieurs centaines d’années », nous dit M. Sullivan. « Et cette association d’une eau délicieuse extrêmement douce et d’un riz qui compte parmi les plus incroyables du Japon a fait de la préfecture de Niigata, et plus particulièrement d’Uonuma, un berceau naturel du développement de la culture du saké. »

Les brasseries d’Uonuma utilisent une variété locale de riz de Niigata appelée gohyakumangoku, issue du croisement de plusieurs types et utilisée exclusivement pour la production de saké. « C’est un grain qui permet de produire des sakés aérés et légers, ce qui est exactement le style de sakés auquel aspirent les brasseurs de Niigata », continue M. Sullivan. « L’équilibre de l’amidon, des graisses et des protéines convient parfaitement au style de sakés de Niigata. »

Niigata, une préfecture réputée dans l’ensemble du Japon pour sa riziculture. Les brasseries d’Uonuma utilisent une variété de riz cultivée spécialement pour la production du saké.

Une autre caractéristique traditionnelle de certaines variétés de saké d’Uonuma est le yukimuro, ou « cave à neige ». Il s’agit d’une sorte de réfrigérateur naturel, qui était souvent utilisé à Niigata avant que le Japon n’entre dans l’ère de l’électricité. Il consistait en un trou creusé dans la montagne, qui était rempli de neige et de glace, puis recouvert de paille ; soit une forme très rustique de glacière. « Certaines brasseries utilisent une version moderne de ce système en guise de méthode pour faire vieillir le saké aux côtés de la neige afin de le maintenir au frais », nous précise M. Sullivan.

L’approche moderne d’une brasserie de la traditionnelle « cave à neige » de la région. M. Sullivan décrit cela comme un « processus magique », puisque faire vieillir le saké aux côtés de la neige lui confère une saveur plus riche et plus intense.

La basse température et l’humidité générées par la neige adoucissent les légumes, accentuent l’umami du bœuf et confèrent au saké une saveur plus riche et plus intense au fil du temps. « La basse température préserve également l’aspect translucide du saké », commente M. Sullivan. « On ne constate pas de jaunissement ou de caramélisation au cours du temps. C’est un processus magique que le Niigata d’aujourd’hui a retrouvé de son passé. »

Au cours de cette année passée à étudier le saké à Uonuma, M. Sullivan a pu faire l’expérience de la culture de la fermentation ancrée dans la région, qui s’étend au-delà du brassage du saké. Dans les brasseries, il a appris comment est fait le koji, ce champignon ou moisissure qui se développe sur le riz et qui est une partie intégrante de la production du saké. Son rôle est de transformer l’amidon en sucre, une étape essentielle du processus. Mais il lui a découvert d’autres usages. « Le koji peut être utilisé pour attendrir la viande et il y a plusieurs types de légumes saumurés qui empruntent différentes parties du processus de fabrication du saké », explique-t-il. « Le nuka, par exemple, est une poudre issue de la mouture du riz, que l’on utilise pour préparer des légumes saumurés nukazuke. »

Le nukazuke est une méthode de préparation de légumes saumurés à base de nuka, une pâte faite de son de riz, de sel et d’eau.

L’une des expériences les plus inoubliables de son séjour a été la recherche de sansai, des plantes sauvages de montagne comestibles. La brasserie avait organisé pour lui une randonnée en montagne, afin de trouver des pousses tendres de fukinoto (pétasite du Japon). « Nous avons grimpé une pente escarpée, équipés de tabliers avec des poches afin d’y ranger ce que nous cueillions », nous raconte-t-il. « Nous avons ensuite conservé ce que nous avions ramassé, afin d’en faire de merveilleux plats d’accompagnement pour déguster avec du riz de Niigata. Je suis tombé amoureux du goût amer de ces plantes de montagne, qui était rehaussé par leur fraîcheur et l’incroyable expérience de les avoir cueillies moi-même. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais. »

Les sansai (plantes de montagne) peuvent servir à la préparation de nombreux plats, tels que des légumes séchés ou saumurés, ou encore de la soupe de plantes de montagne.

Cette zone rurale ne disposant que de peu de restaurants, M. Sullivan préparait lui-même ses repas, achetant du saumon et du porc en conserve marinés dans du shiokoji, un mélange de koji et de sel utilisé pour attendrir les aliments et les aromatiser. « Je les cuisinais à la maison de manière très simple », précise-t-il, « les accompagnant d’une portion fraîche de riz koshihikari cultivé localement. Un repas si simple, mais tellement mémorable. »

Au vu de l’enthousiasme avec lequel il se remémore son régime alimentaire à Uonuma, M. Sullivan pourrait sans problème servir d’ambassadeur à la variété de riz koshikari. « Tout le monde dit que ce riz est si bon, et c’est vraiment le cas », dit-il. « Sa texture et la façon dont il retient l’humidité le rendent incroyablement délicieux. Tout le monde devrait avoir la chance de goûter au riz koshihikari au moins une fois dans sa vie. »

Se penchant sur les vingt ans qu’il a passés dans l’univers du saké, M. Sullivan estime que l’attrait du saké s’est considérablement accru aux États-Unis. « Les jeunes sont plus réceptifs aux plats et boissons des autres pays », commente-t-il. « Leur première rencontre avec le saké se faisant probablement avec un saké de qualité supérieure, ils en retirent une bonne expérience. » Il aide également des brasseurs à étendre leurs réseaux de vente, notamment en mettant récemment l’accent sur la vente de saké à des restaurants qui ne servent pas de cuisine japonaise. « Nous voulons que du saké soit servi avec de la cuisine italienne, thaïlandaise ou américaine », continue M. Sullivan. « Lorsque l’on fait découvrir aux propriétaires et aux chefs le caractère polyvalent du saké, la plupart d’entre eux ont la même réaction de surprise que celle que j’ai eue il y a une vingtaine d’années. »

Son message à l’attention des personnes qui n’ont encore jamais goûté à cette boisson alcoolisée traditionnelle du Japon est simple : « On peut difficilement se tromper quand il s’agit d’accorder du saké avec des plats. » Il encourage tout le monde à goûter aux sakés partout où cela est possible, sachant qu’il en existe une immense variété. Il existe des sakés sucrés, secs, axés sur l’umami, légers, âgés, extrêmement frais avec toutes les nuances possibles. « Je pense qu’il existe un saké qui correspond à chacun », affirme M. Sullivan. « L’avenir s’annonce très prometteur. »

Guide des brasseries de saké d’Uonuma par Timothy Sullivan

Itto kii, ou « It’s the key ».

Yukikura

« La brasserie Tamagawa a été fondée en 1673. Bien que de petite taille, elle dispose d’une gamme d’une vingtaine de sakés différents, ce qui en fait concrètement une brasserie-boutique. L’une de leur marque est appelée Itto kii, écrit en katakana et ressemblant phonétiquement à “It’s the key” en anglais. C’est un saké de catégorie junmai ginjo, considéré comme idéal pour permettre aux nouveaux clients de découvrir le saké. Faiblement alcoolisé – environ 12 % seulement – et produit avec une forte acidité, il est léger et subtilement sucré. Il a été lancé il y a quelques années. Un autre classique de la brasserie est le Yukikura, un délicieux daiginjo, très soyeux, au fini net et extrêmement velouté en bouche. Elle propose donc aussi bien de nouvelles marques excitantes que d’autres plus classiques. »

KAKUREI

YUKIOTOKO

« Aoki Shuzo est une brasserie fondée en 1717, plus jeune que Tamagawa d’une centaine d’années. Elle propose deux incroyables marques que j’apprécie particulièrement. KAKUREI la plus célèbre, dont le junmai ginjo est un saké moyennement corsé qui dispose de très agréables notes de riz en bouche. Il est très net, doux et léger, dans la tradition régionale de Niigata. La seconde marque est appelée YUKIOTOKO, que l’on peut traduire par “yéti” ou “bonhomme de neige”, et présente une étiquette des plus mignonnes. C’est un junmai classique, très accessible. Il est extrêmement convivial, délicieux et bénéficie d’un excellent rapport qualité-prix. Par ailleurs, cette brasserie-là aussi est relativement petite. »

Hakkaisan Tokubetsu Honjozo

Junmai Daiginjo Snow Aged 3 Years Yukimuro

« Hakkaisan est une brasserie plus grande, fondée en 1922. Son tokubetsu honjozo jouit d’une grande notoriété et se vend dans tout Niigata. C’est un saké sec, léger et net qui est très polyvalent : on peut aussi bien le servir chaud que froid. Un autre saké de la brasserie est le Junmai Daiginjo Snow Aged 3 Years “Yukimuro”. Hakkaisan dispose d’une cave à neige et vend un saké junmai daiginjo super premium qui y est laissé à vieillir pendant trois ans dans cette cave. Sa saveur est riche et intense en umami, tout en gardant une apparence parfaitement translucide grâce à la magie qu’opère la neige. »

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