Cuisine du Kohoku : une ode bucolique aux ingrédients locaux
La plupart des personnes visitant le Japon ont probablement déjà traversé la préfecture de Shiga lors d’un trajet entre Tokyo et Kyoto. Située juste au nord-est de Kyoto, Shiga est principalement connue pour le lac Biwa, le plus ancien et plus vaste lac d’eau douce de l’Archipel, qui recouvre un impressionnant sixième de la superficie de la préfecture. Une longue tradition de pratiques durables a heureusement permis de préserver l’héritage des forêts, des montagnes et des eaux qui constituent la région de ce lac. Les ressources que procure le lac et sa situation géographique enclavée ont favorisé une culture culinaire unique, qui inclut une multitude de spécialités à base d’aliments fermentés.
Récemment, cette région du lac Biwa se distingue également par un restaurant local innovant situé au bord du lac. Dans cet établissement baptisé Sower, le chef Coleman Griffin, né aux États-Unis, propose une carte riche en plats du terroir, mettant à profit son expérience dans des restaurants étoilés pour fusionner traditions historiques et ingrédients locaux frais provenant des meilleurs producteurs de la région.
Le chef, M. Griffin, a initialement rejoint l’Hôtel du Lac (une charmante auberge proposant des chalets individuels, des suites d’hôtel et de sublimes vues sur le lac Biwa) avant la réouverture de Sower. « Au départ, je suis venu au Japon pour travailler au restaurant Inua, un restaurant de Tokyo affilié à Noma », nous raconte M. Griffin. « Lorsque l’établissement a fermé à cause de la COVID-19, ma fiancée et moi avons décidé de rester au Japon. Nous sommes venus à l’Hôtel du Lac, avons été conquis par l’espace et l’environnement naturel, puis avons découvert les ingrédients et la cuisine de la région. Cela nous a paru être l’étape suivante idéale. » Ensemble, ils ont étroitement collaboré avec le célèbre designer Teruhiro Yanagihara pour imaginer un nouvel espace. Grâce aux matériaux locaux utilisés et au travail d’artisans qualifiés,
ils ont conçu un design qui établit un équilibre entre tradition et innovation.
Le lac et ses environs constituent le noyau dur du Système du Lac Biwa, un ensemble d’interconnexions qui associe notamment les activités locales de pêche, d’agriculture et de sylviculture à la culture culinaire. Reconnu par les Nation Unies comme étant un Système ingénieux du patrimoine agricole mondial, ce système comprend des pratiques durables, telles que la technique millénaire de pêche « eri », qui maximise l’utilisation de ressources limitées.
Un autre exemple de la connectivité de ce système est la façon dont les rizières à proximité sont utilisées dans le cadre de l’élevage d’une certaine espèce de poisson de lac. Au printemps, les poissons adultes migrent depuis le lac vers les rizières remplies d’eau pour y pondre leurs œufs, puis ces rizières riches en planctons favorisent la croissance des poissons avant qu’ils ne retournent dans le lac à l’automne. Ce système inclut également la plantation d’arbres pour lutter contre l’érosion des sols ainsi que des méthodes agricoles respectueuses de l’environnement qui se traduisent par une riche culture culinaire, telle que la tradition des aliments fermentés.
« Nous honorons les coutumes locales en proposant sur notre carte de nombreux plats à base d’aliments fermentés, qui apportent richesse de goût et profondeur à la nourriture », nous explique M. Griffin. « Un grand nombre d’aspects et de nuances façonnent les traditions de cette région, mais le plat local le plus connu est le funazushi, du carassin fermenté dans du sel et enveloppé de riz. C’est l’un des plus anciens types de sushi, qui s’avère cependant très différent des sushis dont la plupart des Occidentaux ont l’habitude. »
« Les sushis au saba (maquereau) sont un autre délice fermenté », continue M. Griffin. « Il s’agit d’un plat développé en tant que moyen de transporter les prises effectuées sur la côte de Fukui jusqu’à Kyoto, de l’autre côté de la préfecture de Shiga. Ils ont acquis une telle notoriété qu’une route, la Saba Kaido, leur doit même son nom. Aujourd’hui encore, on trouve ici de nombreux magasins qui proposent des sabazushi. »
M. Griffin qualifie le style de plats servis à Sower de « cuisine du Kohoku », un clin d’œil à la région où se trouve le restaurant. Le Kohoku désigne généralement la zone au nord du lac Biwa, où la riche culture culinaire tire le meilleur parti du lac ainsi que des ressources du mont Ibuki. « Bien que peu de gens connaissent ce nom, nous voulions une marque qui représente clairement ce que nous faisons », nous confie M. Griffin. « Notre objectif est de mettre en avant la gastronomie locale et de proposer une expérience dînatoire qui se distingue de celles que l’on peut faire à Tokyo. »
L’emplacement du restaurant a été un atout majeur pour M. Griffin. À une demi-heure de la mer, faisant face à un lac, entouré de rizières et avec les montagnes en arrière-plan, c’est un endroit qui offre un vaste choix d’ingrédients locaux. « Nous pouvons nous procurer des sansai (plantes de montagne) », souligne-t-il « Le riz que nous utilisons est une variété locale, l’Inochi no Ichi. Nous achetons notre poisson chez un marchand local et très souvent, nous prenons un seau et nous rendons au lac pour attraper quelques poissons vivants à proposer à nos clients. Les chasseurs nous partagent leur gibier fraîchement abattu ou capturé et nous conseillent sur la manière de le faire vieillir. Tout est à portée de main. »
Un exemple de l’instantanéité des ingrédients de Sower est un menu de légumes figurant actuellement à la carte qui ne comprend que des produits locaux, de l’entrée au dessert. De fines lamelles de courgette sont grillées dans une feuille de hoba (magnolia) prélevée dans le domaine de l’hôtel. M. Griffin nous décrit le plat : « En grillant, la sève de la feuille se transforme en fumée et devient très aromatique », explique-t-il. « Au fond du bol servi en accompagnement se trouve un sabayon. Nous rôtissons des courgettes entières, en retirons les graines, puis en faisons une purée que nous mélangeons à des jaunes d’œufs battus. L’intérieur du bol est alors recouvert de furikake, que nous préparons en faisant rôtir du poisson du lac, en le faisant sécher, puis en le réduisant en une poudre qui est ensuite mélangée avec du sésame, du kombu, du sucre roux et un simple assaisonnement. Tout en étant un peu créative, cette composition présente un caractère familier. »
La sélection de desserts offre une approche inédite du cake à la carotte. « Nous faisons un chiffon cake que l’on nappe d’une crème préparée à partir d’un fromage de lait de vache produit dans la préfecture. Le glaçage est à base de jus de carotte réduit, obtenu à partir des carottes restées en terre tout l’hiver d’une ferme locale. Elles sont si sucrées que nous n’avons pas besoin d’ajouter de sucre. »
La carte de Sower comprend également toute une gamme de sakés régionaux, vins japonais et étrangers, cidres et bières pour accompagner ses plats innovants. « Nous nous sommes rendus dans plusieurs brasseries de saké, en ne nous intéressant pas uniquement aux marques des sakés, mais en tenant aussi compte de leur qualité et de leur capacité à venir complémenter notre carte », précise-t-il. Les clients se voient remettre une carte du lac Biwa sur laquelle est indiqué l’emplacement de nombreux producteurs locaux qui approvisionnent le restaurant.
L’approche de la nourriture et de la cuisine de M. Griffin a-t-elle changé depuis qu’il est arrivé à Sower ? « Sans aucun doute », affirme-t-il. « L’utilisation de produits locaux permet de créer des rapports plus étroits. Il ne s’agit pas uniquement de connaître la provenance d’une carotte, mais de savoir aussi qui vous l’a vendue. C’est là que réside le vrai plaisir de faire partie d’une communauté. » Il ajoute que la qualité des ingrédients du Kohoku, que ce soit le poisson, le riz ou encore le gibier, est remarquable. « En tant que chef, je suis constamment à la recherche de repères. Plus l’on goûte différentes choses, plus notre répertoire de saveurs s’étend. Apprendre à attraper des poissons ou déguster du gibier fraîchement abattu m’a permis d’acquérir davantage de respect pour ce que l’on mange. Ce sont des choses dont je n’aurais probablement pas fait l’expérience si j’étais resté en Californie ou à Tokyo. »
Pour les voyageurs curieux de s’aventurer au-delà du couloir entre Tokyo et Kyoto et désireux de découvrir de nouveaux lieux et de nouvelles saveurs, M. Griffin conseille de goûter aux plats locaux de la région du lac Biwa, et plus particulièrement aux funazushi. « Ils ont un goût et un arôme intenses, un peu comme du fromage aigre », commente-t-il. C’est une saveur qui fait la fierté de la région, reflétant son histoire et ses traditions, et qui constitue un bon point de départ pour les personnes qui souhaiteraient en apprendre davantage au sujet du lac Biwa et de sa fascinante culture culinaire.