Le shochu serait-il la prochaine grande tendance japonaise ? Un spiritueux à la portée de tous

La liste des produits japonais initialement inconnus qui sont par la suite devenus emblématiques sur les marchés internationaux est interminable. Elle inclut aussi bien les livres (mangas) et les arts visuels (animés), que les délices culinaires (sushis et tout ce qui contient de l’umami), les boissons alcoolisées (whiskys japonais) ou encore les toilettes (vive les WC japonais lavant !).

Personne ne devrait donc sous-estimer le potentiel du shochu, l’un des trésors de l’Archipel encore relativement méconnu. Si Christopher Pellegrini parvient à ses fins, cette ancienne et énigmatique boisson alcoolisée pourrait bien être sur le point d’accéder à une renommée internationale et de se faire une place aux comptoirs des bars du monde entier. M. Pellegrini est un expert certifié de cet alcool, dont tous les aspects le fascinent depuis sa toute première rencontre avec le shochu en 2003. Il entrevoit un bel avenir pour ce spiritueux au caractère unique, et son enthousiasme est indéniablement contagieux.

Christopher Pellegrini est un expert du shochu, un auteur (The Shochu Handbook) et le fondateur de Honkaku Spirits, une société d’import de spiritueux japonais de confection artisanale. (Photo : Yoshiki Hase)

Originaire de l’État du Vermont, aux États-Unis, M. Pellegrini a développé une profonde fascination pour les boissons produites en petite quantité après avoir découvert le brassage de la bière alors qu’il était encore adolescent. Sa perception du monde a changé lors d’une nuit pluvieuse dans un petit izakaya de Tokyo, quand le patron lui a servi une dégustation de cinq variétés différentes de shochu : orge, patate douce, riz, soba (sarrasin) et kokuto (sucre roux). « Cette expérience m’a ouvert les yeux », nous confie-t-il. « Ils se ressemblaient tous, complètement translucides, et pourtant, chacun d’entre eux était très différent. » Il a alors demandé au patron où ces boissons avaient été produites, celui-ci lui a simplement répondu qu’elles venaient de quelque part dans le Sud. « Quelques semaines plus tard », continue M. Pellegrini, « je prenais la route dans cette direction. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé plongé dans un incroyable puits sans fond, dans lequel je continue toujours de m’enfoncer, 22 ans plus tard. »

Toutes les variétés de shochu présentent une transparence totale et cristalline (à moins qu’elles ne soient vieillies en fût), malgré la diversité de leurs ingrédients, qu’il s’agisse des plus populaires, comme les céréales et la patate douce, ou d’autres bien plus inhabituels, par exemple l’aloès ou la carotte.

Bien entendu, cette période ne représente qu’un bref instant dans l’histoire du shochu qui, d’après M. Pellegrini, trouverait son origine il y a quelque 600 ans dans les îles méridionales autour d’Okinawa. Le peuple Ryukyu qui y habitait était constitué de commerçants avides de spiritueux à haute teneur en alcool, qui finirent par commencer à en distiller eux-mêmes. « Cela a donné naissance à l’awamori, le premier spiritueux japonais », nous raconte M. Pellegrini.

Le processus de distillation est remonté le long de ces nombreuses îles, jusqu’à parvenir à Kagoshima, la préfecture la plus au sud de Kyushu. « C’est là où ce qui était connu sous le nom de shochu est devenu la boisson de prédilection », continue-t-il. Au XVIIIe siècle, la patate douce a été introduite dans le sud de Kyushu, où sa culture a prospéré dans le sol cendré, en faisant un ingrédient incontournable. Par la suite, les traditions de distillation se sont répandues, s’installant durablement dans d’autres régions du Japon où il n’était pas aisé de cultiver du riz de haute qualité.

« Le shochu est vraiment unique », affirme M. Pellegrini. Il attire notre attention sur le processus de fermentation, au cours duquel une moisissure appelée koji est utilisée pour transformer l’amidon des éléments sélectionnés en sucres fermentables. « Le processus est bien plus long et structuré, plus pur que pour la plupart des spiritueux », explique-t-il. « La fermentation du whisky nécessite quatre jours tout au plus, après quoi il passe directement dans l’alambic. Néanmoins, même lorsqu’elle est courte, la fermentation du shochu peut prendre deux semaines et bien souvent elle s’étend même jusqu’à trois ou quatre semaines. C’est un processus vraiment lent et délicat. »

Saupoudrer le riz cuit à la vapeur de koji blanc est l’une des premières étapes du processus de production. (Photo : Christopher Pellegrini)

Il souligne également l’existence d’une interdiction d’utiliser des additifs, chose rare en comparaison avec la multitude d’ingrédients superflus que l’on trouve dans les autres spiritueux, comme le caramel dans le whisky ou les édulcorants dans le mezcal. Et bien que la plupart des méthodes de distillation traditionnelles utilisent un processus à deux passes, le procédé de distillation unique ou honkaku (authentique) du shochu implique un processus de fermentation minutieux. « La distillation unique donne certes une teneur en alcool plus faible, mais cela permet aussi à la boisson de conserver le goût et le parfum des ingrédients à partir desquels elle a été produite », nous confie-t-il. « Cela offre une incommensurable diversité. »

Un alambic dans une distillerie locale. Le shochu et l’awamori sont produits à l’aide d’un procédé de distillation unique, qui fait ressortir les saveurs des ingrédients sélectionnés. (Photo : Christopher Pellegrini)

De nos jours, le shochu comprend la distillation de 53 types d’ingrédient différents, produits dans l’ensemble des préfectures du Japon. Les quatre plus populaires sont les céréales (riz, orge), la patate douce, le sake kasu (lie de saké) et le kokuto. « Par diversité, j’entends qu’il existe une soixantaine de variétés de patate douce, de celles à chair blanche à celles à chair rouge, en passant par toutes les autres qui les séparent », précise M. Pellegrini. « Les distilleries ont donc à leur disposition un vaste choix de saveurs et d’arômes à mélanger. Parmi les ingrédients plus insolites, on trouve notamment l’aloès, la châtaigne d’eau, la carotte et le matatabi, une plante proche de l’herbe-aux-chats. » Cinq régions productrices bénéficient d’une indication géographique (GI) à laquelle correspond une appellation d’origine protégée. Il s’agit notamment de l’île Iki dans la préfecture de Nagasaki (orge), du bassin du fleuve Kuma (riz), de Satsuma dans la préfecture de Kagoshima (patate douce) et des îles Ryukyu pour leur awamori (riz). Le shochu ayant le plus récemment reçu cette appellation est le Tokyo Shimazake (patate douce et orge), qui est produit dans le chapelet d’îles qui s’étend d’Oshima à Ogasawara.

L’intense couleur violette des patates douces reste clairement apparente pendant le déroulement du processus de fermentation, néanmoins le produit fini est limpide comme l’eau. (Photo : Christopher Pellegrini)

Il faut ensuite prendre en compte les nombreuses façons de le servir. Au Japon, il est tout aussi commun de le boire pur ou avec des glaçons que de le mélanger avec du soda ou de le couper avec de l’eau chaude. À l’étranger, c’est autre chose. « Les barmans aux États-Unis adorent expérimenter », explique M. Pellegrini. « Un bon bar à cocktail ou un établissement branché se doit d’avoir un cocktail à base de shochu ou d’awamori. » La conversation nous amène à évoquer l’accord de cette boisson avec des mets. Il nous parle avec enthousiasme de l’approche moderne des anciennes traditions de dilution préalable. « Lors d’un événement, le shochu avait été préalablement dilué à une teneur en alcool de 12 ou 13 degrés, et servi comme du vin blanc dans des verres à vin », nous décrit-il. « Comme le shochu n’est pas acide, il n’entre pas en contradiction avec la nourriture, ce qui rend les accords très faciles. Je recommande fortement de le déguster ainsi avec des sushis. »

Pour les amateurs de cocktails, M. Pellegrini suggère cette interprétation d’un apéritif classique, dans lequel le traditionnel gin est remplacé par du shochu d’orge torréfiée, qui est mélangé avec du Campari et du vermouth et servi avec des glaçons. (Photo : Christopher Pellegrini)

Il sourit en se remémorant l’étonnant succès de l’accord entre de la nourriture provenant d’une chaîne de restaurants de poulet frit avec un shochu de riz distillé sous vide. « Ils se mariaient si bien, que je n’arrivais même pas à mâcher tellement je riais fort » nous raconte-t-il. « Un jour, au cours d’une fête, nous nous sommes amusés à boire du shochu de sucre roux en mangeant une fondue au fromage, et c’était génial. Les possibilités sont infinies. »

En tant qu’« ambassadeur » du shochu, il a présenté cette boisson à toutes les catégories de population dans divers lieux du monde entier. « Nous avons fait une dégustation de shochu dans un établissement de José Andrés appelé The Bazaar, qui se trouve dans le Ritz Carlton de Manhattan, à l’attention des sommeliers et des responsables du personnel de salle », se souvient M. Pellegrini. « Grâce à leur expérience, ils étaient en mesure de les analyser à un niveau très élevé. Nous les avons donc bus purs afin qu’ils puissent découvrir leurs profils de saveurs. Quelques mois plus tard, nous avons organisé un dîner d’accord mets et shochu au même endroit et qui s’est avéré un immense succès. »

Est qu’en est-il lorsqu’il s’agit de l’introduire aux novices ? « Je demande aux gens s’ils boivent plutôt du vin ou s’ils préfèrent la bière. Ou bien s’ils aiment la vodka avec du soda. Le shochu d’orge plaît aux amateurs de bière et de whisky qui savent apprécier son goût de céréale. Les fans de mezcal adorent la complexité du shochu à la patate douce. Le shochu de kokuto convient particulièrement aux amoureux des cocktails. »

M. Pellegrini a un message pour celles et ceux qui commencent à s’intéresser à cette potentielle prochaine grande tendance japonaise : « Il vous faut déterminer votre ingrédient favori, puis la façon dont vous préférez le boire, et si vous le servez frais ou chaud. Le shochu étant une boisson sans aucune prétention, il en existe des variétés pour tout le monde. Le secret est de ne pas se laisser dépasser par ses nombreuses possibilités. Alors laissez-vous tenter par du shochu authentique, et dégustez-le en douceur ! »

Cela semble être un conseil particulièrement judicieux pour les personnes qui voudraient se lancer dès à présent à la découverte de ce qui pourrait bien être la prochaine grande « tendance » japonaise.

Christopher Pellegrini a sélectionné pour nous quelques spiritueux populaires et nous explique ce qui les rend spéciaux.

Shochu Mizunomai « Thé vert »
(Munemasa Shuzo)
« Une base de shochu d’orge à laquelle du thé vert est ajouté lors de la fermentation. Le thé vert ne produit pas de sucres fermentables, mais apporte beaucoup de goût et d’arôme. Il possède un agréable arrière-goût de céréale accompagné de l’astringence modérée du thé vert qui plane en surface. Il est très sec, ce qui le rend idéal pour un mélange avec du soda. Délicieux servi frais et avec des bulles. »

Aokage
(Yanagita Distillery)
« Le toji (maître brasseur) a tordu les conduites de vapeur de l’alambic de telle sorte que la vapeur est projetée sur le ferment à un angle dont la férocité le fait presque carboniser, créant un goût très proche d’un shochu d’orge torréfiée (bien que les ingrédients mis à fermenter n’incluent pas d’orge torréfiée). Il a un fort arôme grillé. Il est incroyable et je l’apprécie particulièrement avec des glaçons ou de l’eau chaude. »

Nankai
(Machida Shuzo)
« Un très bon point de départ pour les personnes qui découvrent tout juste le shochu. Il est fait avec du kokuto sur l’île d’Amami Oshima. Étant distillé sous vide, il bénéficie de beaucoup de saveurs de plantes tropicales. Il est très bon avec des glaçons ou servi frais, par exemple mélangé avec du soda. Il est souvent utilisé dans des cocktails à la place du rhum, car il a une teneur en alcool beaucoup plus faible et il est bien moins calorique. »
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