De grandes ambitions pour une petite canette : faire connaître le saké japonais dans le monde entier
Des changements révolutionnaires sont en cours dans le secteur japonais des boissons alcoolisées traditionnelles. Le nihonshu, plus communément appelé saké (bien que le terme saké désigne également les boissons alcoolisées en général), existe depuis que la culture du riz a vu le jour, il y a quelque 2 500 ans. Les méthodes de production ont peu changé au fil des ans, mais l’évolution des goûts et des technologies fait aujourd’hui s’intéresser un public plus large à cet alcool, notamment les amateurs de cuisine et de boissons raffinées du monde entier.
On constate notamment l’émergence de types de saké plus légers et plus fruités, populaires auprès des jeunes consommateurs. Une autre tendance est le déclin de l’habitude de boire le saké chaud dans de petites coupes appelées o-choko, pour plutôt le déguster à température ambiante dans de grands verres. Aujourd’hui, une entreprise est en train de métamorphoser la consommation du saké en élargissant le réseau de distribution des brasseries, permettant ainsi aux passionnés de cette boisson d’accéder à un éventail plus large de marques.
Seishu Gen est le fondateur et président-directeur général de Agnavi, une entreprise qui a récemment lancé ICHI-GO-CAN, un système innovant de conditionnement de variétés de saké issues de tout le Japon dans des cannettes en aluminium de 180 ml. Jusqu’à présent, le saké était essentiellement vendu dans de traditionnelles bouteilles en verre, généralement d’un volume de 720 ou 1 800 ml.
M. Gen a puisé de l’inspiration pour ICHI-GO-CAN dans son attachement profond pour le saké, qu’il a initialement développé grâce à l’association de cette boisson à la succulente cuisine japonaise. « La bonne nourriture semble toujours s’accompagner de bon saké », nous dit-il. Son intérêt a été accru par le processus complexe de fermentation du saké, l’un des plus exigeants du monde des boissons alcoolisées. « Ce processus est l’un des plus complexes parmi toutes les boissons alcoolisées et il est extrêmement délicat », nous explique-t-il. Au cours de ses études supérieures, il a été témoin des difficultés en matière de distribution rencontrées par les brasseries, ce qui l’a motivé à apporter son soutien à la brasserie d’un ami. Néanmoins, les questions de durabilité, notamment le recyclage et le bris des matériaux, présentaient des obstacles de taille.
Décelant une évolution des préférences des consommateurs en matière de saké, M. Gen a eu l’idée de canettes en aluminium plus petites, qui offrent de nombreux avantages. Leur taille compacte garantit la possibilité de boire leur contenu en une seule fois, préservant ainsi la fraîcheur du produit sans avoir besoin de conserver des restes. D’autre part, les canettes peuvent facilement être réfrigérées et recyclées, et elles protègent leur contenu de la dégradation due aux UV.
Un autre de leurs avantages est qu’elles permettent aux consommateurs de goûter à différentes variétés de saké en petite quantité, supprimant ainsi la nécessité d’ouvrir de plus grandes bouteilles qui pourraient ne pas plaire. « Le saké dispose de beaucoup de caractéristiques régionales », nous confie M. Gen, en mettant l’accent sur la fascinante et mystérieuse nature de ses nombreuses variétés. « Bien qu’il soit tout simplement produit à partir de riz, d’eau et de moisissure koji, les saveurs qui en résultent sont multiples. Les types de saké des régions avec une eau calcaire tendent à être légers et secs. Ceux des régions où l’eau est plus douce sont plus sucrés. Les brasseries dans le sud du pays produisent généralement des variétés plus riches, tandis que celles des régions septentrionales privilégient des styles plus légers. Certains sakés peuvent présenter un arôme de riz très prononcé, mais les débutants, aussi bien au Japon que dans le reste du monde, semblent leur préférer ceux aux aspects fruités et rafraîchissants. »
Agnavi va à la rencontre de brasseries dans tout le Japon et leur propose de mettre en canette une partie de leur production. À ce jour, plus de 100 brasseries se sont jointes au projet, avec plus de 170 variétés de saké en canette vendues sous la marque ICHI-GO-CAN. « Nous choisissons des brasseries qui viennent enrichir notre sélection, et plus de 70 % de nos produits sont des sakés des catégories plus raffinées junmai ginjo et junmai daiginjo », nous explique M. Gen.
Même si les canettes étaient depuis longtemps fermement implantées pour le conditionnement des bières et, plus récemment, pour proposer de nombreux cocktails, c’est un format qui n’avait pas encore été adopté pour le saké. M. Gen souligne l’investissement de capitaux requis par les brasseries indépendantes pour procéder à un tel changement, tandis qu’Agnavi tire profit d’une économie d’échelle. L’entreprise propose aussi, par exemple, de collaborer au design des étiquettes. « Les canettes s’avèrent extrêmement populaires auprès des jeunes. », ajoute-t-il. « Que nous utilisions le design traditionnel des brasseries ou que nous en élaborions de nouveaux, nous arrivons à faire reconnaître aux gens les étiquettes de leurs variétés préférées et ainsi à les rendre fans des brasseries. » Certaines campagnes promotionnelles collaboratives s’appuient sur l’association de sakés à des trains locaux populaires ou à des personnages de célèbres mangas ou dessins animés, tels que Moyasimon ou Ken le survivant.
Nous l’interrogeons au sujet de la pratique traditionnelle qui consiste à servir le saké chaud. « Certains connaisseurs estiment que le saké avec un arôme prononcé de riz est meilleur ainsi, mais c’est l’étape suivante à franchir pour les novices en saké japonais », nous répond M. Gen. « Il est possible de plonger les canettes dans de l’eau chaude pour réchauffer le saké, mais nous conseillons de le boire frais pour le moment. » Il recherche également d’autres méthodes qui permettraient d’enrichir les choix de consommation, tenant compte, par exemple, de la récente popularité du whisky highball. « J’envisage de proposer des recettes qui utilisent le saké dans des mélanges de boissons pour créer des cocktails », nous confie-t-il.
Agnavi a commencé à exporter ses produits ICHI-GO-CAN à l’étranger, notamment en Amérique du Nord et du Sud, en Asie du Sud-Est et en Europe, mais aussi dans d’autres pays. L’intérêt mondial pour la cuisine japonaise ne s’essoufflant pas, M. Gen prévoit de la croissance. Les supermarchés aux États-Unis, dont un grand nombre dispose d’espaces dédiés à la vente de sushis, sont par exemple un segment de marché prometteur. De plus, il décèle un potentiel qui s’étend au-delà des traditionnels accords de mets et saké, remarquant que le saké s’apparente au vin blanc en venant complémenter une grande diversité de plats. « Le saké s’accorde particulièrement bien aux styles culinaires qui font ressortir la saveur des ingrédients, par exemple les cuisines japonaise, française et de la province du Guangdong en Chine », nous dit-il.
Pour les personnes à l’étranger qui connaîtraient encore mal le saké, M. Gen encourage l’exploration. « Commencez en essayant différentes variétés, ne serait-ce qu’une fois par mois », recommande-t-il. « Laissez-vous porter et découvrez ce qu’est le saké en choisissant différents types, aussi bien des produits bon marché que ceux de catégories plus élégantes. Moi-même, je suis en apprentissage constant des variétés de saké qui sont produites. C’est un type d’alcool unique, qui est un pur produit de la culture japonaise. » Le projet ICHI-GO-CAN d’Agnavi pourrait s’avérer une démarche audacieuse pour démocratiser la consommation de saké dans le monde entier, mélangeant traditions et innovations pour séduire les palais et les styles de vie modernes.
Site Internet d’Agnavi: https://agnavi.co.jp/