Un toast à l’image de la ville : la culture des yatai à Fukuoka

Photograph provided by Fukuoka City.

Les coutumes alimentaires de Fukuoka sont de classe mondiale, incluant toutes sortes de délices, du mentaiko (œufs de cabillaud salés) au ramen de Hakata, en passant par le shochu, représentant non officiel l’esprit de Kyushu. Mais ce ne sont pas seulement ces appétissants plats proposés qui attirent les visiteurs des autres régions du Japon comme du reste du monde. Fukuoka est également célèbre pour ses yatai, des échoppes de rue pleines de caractère où l’on peut manger, prendre un verre et apprécier un sentiment d’hospitalité comme à la maison en un seul et même endroit. Nous nous sommes entretenus avec Stephen Lyman, ambassadeur du shochu et « raconteur » de Fukuoka, sur la manière de profiter au maximum de l’expérience que proposent ces yatai.

Stephen Lyman

« Ce qui rend les yatai de Fukuoka unique, c’est que même s’ils se trouvent en pleine rue, ils sont prévus pour être des endroits où boire un coup et faire des rencontres », nous explique M. Lyman. « Ce cadre décontracté en extérieur fait tomber les barrières. Dans un izakaya, les personnes assises à la table à côté de la vôtre ne discuteront jamais avec vous, mais dans un yatai c’est quasiment inévitable. Même si vous ne parlez pas japonais, il est probable que quelqu’un vienne s’adresser à vous en anglais et essaye de vous mettre à l’aise. »

Aujourd’hui, Fukuoka abrite une centaine de yatai, pour la plupart installés côte à côte dans des quartiers traditionnels de yatai, tels que Nagahama, Tenjin ou Nakasu en bord de rivière. Seuls les entrepreneurs individuels sont autorisés à exploiter des yatai – pas de sociétés constituées en personne morale ou de chaînes – faisant de chacun d’eux un univers autonome hautement personnel de 3 mètres de large par 2,5 mètres de profondeur, au sein duquel les goûts du propriétaire s’expriment aussi bien à travers la décoration et la structure que dans le menu et la liste des boissons proposés. Par ailleurs, les yatai devant être démontés et rangés à l’abri des regards pendant la journée, toute l’installation doit aussi être pensée au mieux pour le montage et le désassemblage. Par chance, il n’y a rien de mieux que les contraintes pour stimuler la créativité.

« Gyozas, ramen, oden, yakitoris, yakisoba et yaki-ramen sont les plats que l’on trouve typiquement dans les yatai », nous dit M. Lyman. « Il faut absolument goûter à ces plats lorsque l’on vient à Fukuoka ! » Le yaki-ramen, une spécialité des yatai de Fukuoka, consiste en une recette de nouilles sautées inspirée du ramen.

Des oden brûlants, un mets classique des yatai en hiver (Photo fournie par la ville de Fukuoka)

Pour ce qui est des rafraîchissements, M. Lyman nous confie qu’il n’y a rien de tel que le shochu pour accompagner la cuisine typique des yatai. « C’est l’esprit originel de Kyushu, qui par ailleurs ne s’exporte que très peu. Un passage à Fukuoka est l’occasion idéale pour y goûter. »

Le shochu « honkaku », ou « authentique », est fabriqué à partir de moisissure koji et de produits agricoles locaux par un cycle unique de distillation dans un alambic. L’ingrédient issu de l’agriculture le plus populaire est la patate douce, florissante dans les sols volcaniques riches en minéraux (et peu propices à la riziculture) du sud de Kyushu, mais il existe plus d’une cinquantaine d’ingrédients officiellement autorisés. « La palette de saveurs et d’arômes pouvant s’exprimer à travers le shochu est très riche », précise-t-il. « Je pense sincèrement qu’il existe un shochu pour chaque personne. »

Le shochu peut se boire sec, avec des glaçons ou mélangé à de l’eau tiède ou fraîche. « Si vous visitez Fukuoka en hiver, je suggère un shochu de patate douce servi à la façon oyuwari, c’est-à-dire mélangé à de l’eau chaude, accompagné d’un traditionnel plat hivernal d’oden », conseille M. Lyman. « Pour les périodes plus chaudes de l’année, le shochu avec de l’eau gazeuse est rafraîchissant et se marie à merveille avec les yakitoris. Essayez les brochettes de peau de poulet de style Hakata : enroulées bien serrées, elles sont croustillantes et délicieuses. Enfin, pour terminer votre tournée nocturne des yatai, le traditionnel bol shime de ramen, de yakisoba ou de yaki-ramen s’accommode parfaitement au shochu d’orge ou de riz avec des glaçons. »

Les yakitoris se marient à merveille avec du shochu coupé à l’eau gazeuse.

Aussi délicieux soient les plats traditionnels des yatai, l’intérêt de leur menu ne s’arrête pas là. Les propriétaires les plus ingénieux ont trouvé le moyen de repousser les limites des yatai dans des directions surprenantes. Jerky de poulet, cuisine française classique, nourriture raffinée d’izakaya, dîner occidental moderne complet avec accords mets-vins : on trouve des yatai pour absolument tous les goûts. Nous avons accompagné M. Lyman dans quelques-unes de ces échoppes favorites.

Nous commençons par Megane Coffee & Spirits, un yatai sans équivalent qui propose des cafés à verser ainsi qu’une sélection soigneusement pensée d’alcools qui s’accordent avec le café, notamment du gin artisanal et du shochu de Yamatozakura Shuzo, une brasserie à laquelle M. Lyman contribue bénévolement.

« Les infusions de café, préparées en laissant tremper des graines de café dans du shochu ou du whisky, méritent également d’être essayées », affirme-t-il.

Le propriétaire de Megane Coffee & Spirits a travaillé pendant près de trente ans dans le monde de l’entreprise avant de décider que Fukuoka avait besoin d’un café yatai et de s’efforcer de concrétiser cette idée. Son échoppe, un exemple sophistiqué du mouvement « neo-yatai » qui paie hommage à la culture des yatai tout en s’inspirant d’éléments contemporains de design, a été récompensée d’un Good Design Award en 2021. Il lui faut deux heures pour assembler la structure et trois pour la désassembler tous les soirs, témoignage sans équivoque de son attachement à la culture des yatai. Des décrets municipaux interdisent la vente de produits à emporter dans les yatai, mais à la demande générale, les mélanges de café utilisés à Megane Coffee & Spirits sont disponibles à l’achat en ligne.

Notre mini-tournée des yatai termine sa course à Yatai Bar Ebi-chan, un yatai bar à cocktail proposant un service complet, tenu par un couple marié. « Ebi-chan a récemment fêté son quarantième anniversaire ; l’échoppe a initialement été ouverte par le père de l’actuel propriétaire », nous explique M. Lyman. Le portrait d’Ebi-chan, le premier propriétaire, figure toujours sur les sous-verres de l’établissement, révélant une indéniable ressemblance entre le père et le fils.

Yatai Bar Ebi-chan est en mesure de vous servir n’importe quel cocktail classique vous faisant envie et propose notamment des cocktails préparés avec des fruits de saison ainsi qu’un Negroni original préparé avec du shochu à la place du gin. « J’ai été le premier client à commander ce cocktail », nous confie M. Lyman. « La faible teneur en alcool du shochu et ses arômes floraux produisent une superbe boisson. Et aujourd’hui, c’est devenu l’une de leurs recommandations ! » Les plats qui figurent au menu incluent du gingembre saumuré ainsi qu’une « pizza de Hakata » agrémentées de délices locaux tels que du mentaiko ou du takana, un légume feuillu parfois qualifié de moutarde japonaise.

Y a-t-il des règles tacites que les personnes se rendant dans un yatai pour la première fois devraient connaître ? « Prenez garde à ne pas passer devant les gens qui font la queue », précise M. Lyman. « Les files d’attente des yatai peuvent parfois se prolonger sur le trottoir de l’autre côté de la rue afin de ne pas gêner les piétons. » Ce qui peut sembler une place libre au comptoir peut en fait être déjà prise par une personne attendant à l’extérieur. Assurez-vous donc de vérifier autour de vous avant d’entrer.

Beaucoup de yatai vous accueilleront en plusieurs langues et la plupart disposent de menus multilingues, alors gardez l’œil ouvert pour les échoppes proposant des services de ce type au besoin. (Par ailleurs, si vous voyagez au Japon en mode backpacker, gardez à l’esprit que les gros sacs à dos ne sont pas admis. Ici c’est l’espace qui prime avant tout !)

Les places dans les yatai sont confortables mais serrées les unes contre les autres.

Pendant plusieurs siècles par le passé, on trouvait des yatai dans tout le Japon, mais la plupart d’entre eux ont disparu au cours du XXe siècle. Heureusement pour les amateurs de yatai, Fukuoka a su déceler leur potentiel touristique à temps pour leur éviter un tel destin. De nos jours, il y a même une conciergerie de yatai à l’aéroport de Fukuoka. En parallèle, de nombreuses villes du Japon ont mis en place des « villages de yatai » (ou yatai-mura) dans des cours intérieures ou des allées privées, espérant ainsi rétablir cette tradition de manière un peu moins chaotique. « Le meilleur moyen de profiter du Japon est d’être ouvert aux nouvelles expériences », affirme M. Lyman. « Les yatai sont une façon on ne peut plus japonaise de dîner et de prendre un verre qui a survécu à l’épreuve des siècles. Tout le monde devrait venir visiter Fukuoka et goûter à cette culture avant qu’elle ne disparaisse ! »

Quelques marques de shochu recommandées par Stephen Lyman et susceptibles d’être disponibles dans des yatai

iichiko (Sanwa Shurui)
« À vrai dire, il s’agit de mon tout premier shochu, que j’ai goûté dans un izakaya à New York, et le reste appartient à l’histoire. Il s’agit d’un mélange de shochu d’orge, en faisant une valeur sûre. On le trouve quasiment partout au Japon. »

Satsuma Shima Bijin (Nagashima Kenjo)
« Cette marque de shochu de patate douce est en fait une coopérative. Plusieurs familles de l’ouest de la préfecture de Kagoshima distillent leur alcool séparément, puis mélangent ensuite les résultats obtenus. C’est un merveilleux shochu qui se marie à merveille avec de l’eau chaude ou fraîche, ou même de l’eau gazeuse. Il est très polyvalent ou « tout-puissant » comme aiment dire les Japonais. »

Unkai (Unkai Shuzo)
« Ce shochu est fabriqué à parti de soba, c’est-à-dire de la farine de sarrasin. C’est un ingrédient inhabituel pour de l’alcool, mais c’est ce qui en fait une expérience intéressante. C’est la difficulté de cultiver du riz à Kyushu, et plus particulièrement dans le sud de l’île, qui a occasionné cette expérimentation. Les résultats parlent d’eux-mêmes. »

Nakanaka (Kuroki Honten)
« Nakanaka est un shochu d’orge de la brasserie Kuroki Honten. Ils font eux-mêmes pousser dans leurs propres champs l’orge qu’ils utilisent. Ils fabriquent aussi un shochu de patate douce appelé Yamaneko que l’on retrouve à la carte de nombreux yatai ainsi que partout au Japon. »

Pour en apprendre plus sur le shochu, consultez l’article ci-dessous !
Le shochu serait-il la prochaine grande tendance japonaise ? Un spiritueux à la portée de tous

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