Un lieu où le thermalisme rencontre la cuisine farm-to-table : Retraite botanique Enowa à Yufuin

Nichée sous les pics jumeaux du mont Yufu s’élevant à 1 500 m, à environ une heure de route d’Oita dans l’île de Kyushu, se trouve la pittoresque bourgade de Yufuin. Célèbre pour ses auberges thermales, ses paysages spectaculaires, son lac et ses rivières, il s’agit d’une destination populaire pour les excursions d’un jour et auprès des amateurs de sources chaudes.

Enowa, une « auberge de luxe » qui a ouvert ses portes en juin 2023, se situe sur le flanc boisé d’une montagne, au nord de Yufuin. Avec uniquement neuf chambres, huit villas et deux pavillons, qui offrent tous de généreux espaces et disposent de leur propre bassin thermal en plein air, Enowa incarne ce qui se fait de mieux parmi les hôtels-boutiques de luxe. Le luxe n’est cependant pas la seule vocation d’Enowa. Vous trouverez un indice dans le nom de l’établissement. Signifiant « circularité et relations » en japonais, il évoque des thèmes tels que le « cycle de la vie » ou le « cycle végétal qui vous relie à votre nouveau moi ».

En effet, Enowa se présente comme une « retraite botanique ». Les chambres y sont relativement simples, selon l’idée de favoriser l’état d’esprit d’une « retraite au cœur de la nature ». En profitant d’aliments sains centrés sur les fruits et les légumes, les hôtes trouvent l’occasion de se ressourcer, de faire le point sur leur vie et de repenser leur rapport à l’alimentation.

Afin de fournir à ses clients les fruits et légumes les plus frais, Enowa dispose de sa propre ferme biologique, située à environ cinq minutes de route de l’hôtel. Les 150 variétés de fruits et légumes cultivées sur la parcelle de 0,6 hectare comprennent dix variétés de carottes, cinq sortes de choux frisés et de navets ainsi que trois sortes de betteraves. Située à 600 mètres d’altitude et entourée de montagnes, la bourgade de Yufuin jouit d’un microclimat particulier, frais en été et froid en hiver. De telles conditions sont idéales pour la culture de légumes-racines qui sont au cœur du concept de retraite botanique d’Enowa.

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Quelques-unes des carottes multicolores qui poussent dans la ferme Enowa.

Enowa pratique un style de cuisine dicté par les produits fermiers. Le menu y est établi en fonction des meilleurs aliments ce jour-là, provenant soit de la propre ferme d’Enowa, soit d’autres fermes de Kyushu. Le chef Tashi Gyamtso, arrivé au Japon en 2020 pour prendre les rênes du restaurant d’Enowa, est un expert de longue date de cette cuisine fermière. De 2015 à 2019, il a travaillé au Blue Hill at Stone Barns, un restaurant appartenant à l’ancien domaine Rockefeller à New York, où le célèbre chef Dan Barber a développé le concept farm-to-table, autrement dit « de la ferme à la table ». « Le type de cuisine qu’ils pratiquent est en lien avec mes racines. Ils cultivent de délicats légumes pas loin de la cuisine, puis s’en servent pour régaler leurs invités », explique Tashi.

Pendant son enfance au Tibet, Tashi a directement fait l’expérience d’une vie nourrie du concept de la ferme à la table, puisqu’il aidait sa mère à faire pousser leur propre nourriture, traire leur vache et fabriquer du beurre et du fromage. À l’âge de 18 ans, il a fait le voyage aux États-Unis pour suivre des études universitaires, mais a changé de cap après s’être découvert une passion pour la cuisine. En plus d’avoir travaillé dans de grands restaurants à New York, Tashi a effectué des stages dans d’autres restaurants aux États-Unis, en Europe et au Japon.

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Le chef Tashi Gyamtso a travaillé aux États-Unis avec Dan Barber, pionnier de la cuisine farm-to-table, avant de venir au Japon.

Après s’être installé au Japon il y a trois ans, Tashi a rapidement découvert que Yufuin, la préfecture d’Oita et plus largement Kyushu représentaient un cadre idéal pour mettre en pratique sa philosophie « de la ferme à la table ». Selon lui, Oita est quasiment autosuffisante du fait qu’on y trouve tout ce dont on a besoin dans la région.

« Ici à Yufuin, nous avons d’incroyables producteurs de mini-tomates, d’épinards et de navets, tandis qu’Oita est célèbre pour ses pêches et ses poires asiatiques. Le cultivateur qui nous fournit nos poires en produit de nombreuses variétés, certaines très sucrées, d’autres légèrement acides. On peut les insérer dans notre menu pour faire différentes choses », s’enthousiasme Tashi.

Tashi prend soin de visiter plusieurs producteurs de la région avant de sélectionner un fournisseur. Le lait, par exemple, provient d’une petite exploitation située à Tsukahara, à juste quelques minutes de route, où le bétail est entièrement élevé à l’herbe. S’il a choisi Fukudome Small Farm à Kagoshima pour le porc, c’est non seulement pour la saveur exceptionnelle de leur viande, mais aussi parce qu’il apprécie la façon dont les porcs sont élevés et nourris dans cette ferme.

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Le dernier des plats principaux se compose de trois morceaux de porc de Kagoshima - le groin, l’échine et la cuisse - accompagnés de pommes de terre et de rhubarbe.

Oita est également réputée pour ses produits de la mer. Son maquereau et son chinchard sont particulièrement appréciés pour leur chair ferme, développée par les poissons affrontant les puissants courants du détroit de Bungo entre Kyushu et Shikoku. Tashi aime aussi la daurade et la sériole du port voisin d’Usa. Il se procure tous ses poissons directement auprès de pêcheurs qui les livrent vivants au restaurant, où ils sont tués d’une manière aussi humaine que possible.

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Le détroit de Bungo

Même si Tashi apporte le plus grand soin à l’approvisionnement en poisson et en viande, son objectif premier est d’offrir une expérience culinaire avec le meilleur équilibre entre, d’une part, les légumes et, d’autre part, la viande et les produits de la mer. « De nombreux restaurants se concentrent avant tout sur la viande et les produits de la mer. Personnellement, je tiens à mettre les légumes à l’honneur et à faire voyager mes convives grâce aux saveurs, aux textures, à divers modes de cuisson et différentes combinaisons d’herbes et d’épices de différents légumes », explique-t-il.

C’est à un véritable voyage que l’on est en effet convié. Le dîner au JIMGU, le restaurant d’Enowa, consiste en un festival de 15 plats, avec un seul poisson (daurade d’Usa) et un seul plat de viande (porc de Kagoshima) à la toute fin - même si l’on retrouve en chemin du saumon, du caviar, des coquilles Saint-Jacques, du bacon, du salami et du pastrami jouant un rôle d’accompagnement.

Le dîner commence au bar, où nous dégustons les quelques amuse-bouches servis, tout en contemplant les herbes et les fleurs comestibles du jardin intérieur. De jeunes radis, navets et carottes, trois sortes de courgettes et des pois mange-tout crus sont accompagnés d’une trempette verte, à la fois fraîche et relevée. Cet arrangement aux couleurs vives devient encore plus saisissant grâce à l’assiette en porcelaine d’Arita, d’une facture exquise, sur laquelle il est présenté.

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Les herbes, les légumes et les fleurs comestibles sont cultivés dans le jardin intérieur jouxtant le restaurant.

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Tous les ingrédients servant aux amuse-bouches proviennent de la propre ferme d’Enowa.

Le savoir-faire de Tashi imprègne particulièrement le deuxième amuse-bouche : une paire de petites fleurs exquises, l’une composée de tranches de betteraves, de saumon de Yufuin et de gelée de citron, l’autre de lamelles de carottes frites avec de la mousse de carottes. Comme pour le plat précédent, nous sommes encouragés à manger les fleurs avec les doigts pour « nous sentir plus proches de la nature ».

Nous nous rendons ensuite dans la salle à manger, où nous dégusterons encore 13 autres plats au cours des trois heures suivantes. Plutôt que d’en dresser un catalogue exhaustif, permettez-moi d’en citer juste quelques-uns parmi les plus « Tashi-esques » et botaniques.

Le plat de carottes comprend quatre sortes différentes de carottes aux couleurs exotiques, grillées et tranchées dans le sens de la longueur, servies avec des herbes, une sauce au curcuma, une purée de feuilles de carottes et du beurre de pomme de couleur rose élaboré à partir de pelures de pommes rouges. (La purée et le beurre reflètent tous deux la philosophie d’Enowa, qui consiste à réduire le gaspillage alimentaire en utilisant scrupuleusement les tiges, les épluchures et autres « restes » de cuisine.) Avec son mélange de longues et fines lignes verticales et de taches de couleurs vives, ce plat ressemble à une dynamique peinture abstraite de Kandinsky.

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Le plat de carottes grillées en tranches évoque un tableau de Kandinsky.

Le plat de betteraves est une autre création portant la patte de Tashi. Il est lui aussi magnifiquement servi. Des tranches de betteraves roses et rouges enserrent un succulent monticule de fromage ricotta (fabriqué avec du lait de la ferme Tsukahara) sous une garniture de feuilles de salade mizuna rouges et vertes. Il est accompagné de Nabeshima, un saké fruité de la préfecture de Saga à Kyushu, choisi pour parfaire l’image de salade de fruits que véhicule le plat de betteraves.

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Betteraves roses et rouges avec ricotta de la région et feuilles de mizuna rouges et vertes.

Kyushu pouvant se targuer d’une longue histoire de fabrication de saké, Enowa tient à ce que les visiteurs étrangers goûtent à ce breuvage alcoolisé de la région. Grâce au réseau entretenu par son sommelier, le restaurant est en mesure de servir tous les types de sakés, des petits lots aux plus prestigieux venant de tout le Japon. Son principe de base consiste à servir le Takakiya, un saké sec d’Oita, aux fins connaisseurs, et le Yatsushika, un saké doux, fruité et plus accessible (également d’Oita), à ceux qui découvrent le saké. Il augmente ensuite la sucrosité de sa sélection au fil du repas pour créer un effet de crescendo.

En plus de marier les plats avec du vin et du saké, Enowa envisage également d’introduire le shochu dans sa palette. La majorité des visiteurs étrangers ne connaissent peut-être pas le shochu, mais Kyushu est un important producteur de cette liqueur distillée claire à base de patates douces, d’orge, de riz ou de sucre roux, avec des marques locales célèbres telle qu’Oimatsu Shuzo.

Pour en revenir à notre dîner, nous atteignons à présent sa conclusion avec une série de trois desserts. Le plus clairement botanique de ceux-ci est sans doute la glace au céleri d’un vert éclatant, accompagnée de rhubarbe fermentée et surmontée d’une tuile en betterave dont la couleur violette est d’une magnifique intensité.

Après cette quinzaine de plats, l’idée escomptée d’une révolution verte s’est effectivement produite en moi : j’éprouve un respect complètement nouveau pour les légumes et ce qu’un chef cuisinier peut en faire, tout en me réjouissant d’aller moi-même mijoter dans l’eau chaude du bain privé qui se trouve devant les fenêtres de ma chambre.

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La glace au céleri avec de la rhubarbe fermentée et la tuile en betterave sont typiques de l’approche « priorité aux légumes » du chef Tashi.

« Nous voulons offrir à nos clients de l’étranger le type de cuisine et de saveurs dont ils sont familiers, mais en utilisant des ingrédients et des produits japonais. En même temps, nous cherchons à leur faire apprécier la beauté des jardins, de la décoration intérieure et de l’hospitalité du Japon », précise Tashi.

Les hôtes non japonais représentent actuellement environ un cinquième de la clientèle d’Enowa, mais cette proportion augmente à mesure que se font connaître l’incroyable cuisine, les bains de source thermale et la qualité des chambres de cette retraite.

Que vous souhaitiez vous prélasser dans un bain de source thermale riche en minéraux, savourer une délicieuse cuisine farm-to-table ou découvrir les vins et sakés de Kyushu, vous offrir un séjour ici sera une excellente décision. Lorsque l’expérience est aussi bonne, une « retraite botanique » se transforme rapidement en « victoire botanique » !

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Toutes les chambres d’Enowa sont équipées d’un bain de source thermale privatif.

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