Les glaces japonaises à la conquête du monde

Pendant les étés chauds du Japon, les personnes de tous âges cherchent à se rafraîchir en se rendant dans leur supérette locale pour y parcourir une vaste sélection de crèmes glacées et glaces en bâtonnets intrigants, dont la plupart seront nouvelles et inconnues pour les visiteurs venus de l’étranger. Pour comprendre la culture japonaise des glaces, nous nous sommes entretenus avec Hiroyuki Fukutome, mieux connu sous le nom de Iceman Fukutome.

Ce « spécialiste des glaces » a toujours adoré les desserts glacés, mais sa fascination est passée de l’amour quasi universel d’un enfant pour tout ce qui est sucré à un intérêt plus profond, portant sur l’ensemble des étapes nécessaires à la mise sur le marché de la grande variété de friandises glacées que l’on trouve au Japon. Cela l’a amené à faire des recherches sur l’histoire des fabricants de glaces japonais, leurs points forts et leur technologie unique, les différentes usines dans lesquelles ces friandises sont fabriquées, et bien d’autres choses encore.

Iceman Fukutome, expert des variétés de glaces japonaises et de l’histoire des desserts glacés.

Les glaces japonaises sont d’un genre tout à fait particulier par rapport à leurs cousines occidentales. Elles présentent un large choix de saveurs inhabituelles, comme le haricot rouge, le thé vert matcha ou le sésame noir, et les entreprises ne cessent d’inventer des friandises uniques en leur genre, en combinant des en-cas populaires avec des glaces pour créer quelque chose de totalement nouveau. De façon générale, les produits à base de lait et de crème ont tendance à être moins sucrés, tandis que les glaces en bâtonnets et les sorbets ont souvent une teneur plus élevée en fruits ainsi qu’une saveur plus prononcée.

Les konbini, ces supérettes dont le nombre s’élevait à environ 55 657 en mars 2024, constituent l’un des principaux circuits de vente pour les fabricants de glaces, en particulier pour les friandises saisonnières ou en édition limitée. Selon M. Fukutome, « le cycle de vente des glaces au Japon est le plus rapide au monde, avec de nouvelles variétés et de nouveaux parfums sortant apparemment chaque semaine ».

Inspiré par le carrousel en perpétuel changement de ses aliments préférés, M. Fukutome a lancé en 2014 un site web consacré aux glaces des supérettes, Conveniice. Puisqu’il déguste chaque année plus de 1 000 glaces différentes, il ne fait aucun doute que cet aficionado connaît parfaitement non seulement l’évolution et les tendances du marché, mais aussi les racines de ces desserts au Japon.

Malgré leur popularité actuelle, les glaces sont relativement nouvelles au Japon. « Les premiers exemples de confiseries glacées sont apparus en 1869 dans la ville portuaire de Yokohama, dans un magasin de glaces appelé Korimizuya. En raison de la difficulté à se procurer la glace nécessaire à leur fabrication, qui devait être acheminée depuis Boston, les crèmes glacées représentaient à l’époque un véritable luxe, coûtant environ l’équivalent actuel de 8 000 yens pour une portion », explique M. Fukutome. « Naturellement, le choix des arômes était aussi bien plus restreint que celui auquel les consommateurs d’aujourd’hui sont habitués, à savoir une concoction plutôt simple de lait, sucre, glace et fécule de maïs ».

Alors que les glaces étaient autrefois un luxe, dont une portion coûtait approximativement 8 000 yens, on peut de nos jours déguster des glaces japonaises pour environ 200 à 300 yens.

Au cours de l’ère Taisho (1912-1926), l’approvisionnement local en glace et les innovations technologiques ont permis aux crèmes glacées de devenir une option certes spéciale, mais ne représentant plus un plaisir ruineux. Les gens s’offraient un bol de glace dans l’un des « salons » qui ouvraient dans les quartiers urbains à la mode. C’est à partir des années 1960, avec la généralisation des réfrigérateurs dans les foyers, que les glaces ont commencé à se démocratiser et à connaître une popularité croissante tout au long de l’année, soutenue parallèlement par l’essor des supérettes.

M. Fukutome relève qu’en raison de la difficulté d’importer les glaces au Japon, le pays dispose d’un « écosystème plutôt unique et autonome, avec des entreprises essentiellement nationales qui satisfont environ 90 % de la demande de la population en matière de desserts glacés ». Malgré le rythme rapide auquel les nouvelles variétés apparaissent et disparaissent, il en existe un certain nombre de favorites qui résistent à l’épreuve du temps depuis des décennies.

L’une des plus anciennes, et peut-être la plus surprenante pour ceux qui ne connaissent pas les friandises japonaises, est l’Azuki Bar. Créé en 1973 par Imuraya, une entreprise connue à l’origine pour ses confiseries traditionnelles wagashi, ce bâtonnet glacé simple a pour ingrédient principal des haricots rouges azuki, ainsi que du sucre, du sel et du sirop. « Leur connaissance de cet ingrédient traditionnel de la confiserie japonaise les distingue vraiment. Aucune autre entreprise n’est capable d’obtenir la même consistance lisse et homogène que celle qu’ils produisent grâce à leur technologie brevetée », explique M. Fukutome.

Chaque Azuki Bar contient environ 100 haricots rouges azuki, qui engendrent une texture délicieusement onctueuse sans aucune disparité.

Un autre incontournable de l’été japonais est le Gari Gari Kun, inventé en 1981 par le fabricant de glaces Akagi Nyugyo, qui cherchait à élaborer une version plus adaptée aux enfants de l’un de ses produits phares. Le résultat est une glace râpée que les enfants peuvent déguster d’une seule main tout en jouant, dont le bâtonnet qui indique si vous en avez gagné une autre. « Le secret de leur réussite est une combinaison d’esprit ludique et de haute compétence technique », souligne M. Fukutome. « L’esprit ludique se manifeste dans l’expérimentation avec des parfums vraiment inhabituels comme la soupe de maïs ou le napolitan (un plat de pâtes populaire à base de ketchup), tandis que les compétences techniques sont évidentes dans leurs arômes juteux, tels que le populaire ananas, et dans la capacité à parfaitement maîtriser la sensation offerte par la glace en bouche. »

Le Gari Gari Kun original se compose de glace râpée aromatisée au soda et a connu un succès immédiat lors de sa sortie en 1981.

Mais il n’y a pas que des glaces de type bâtonnet qui sont disponibles, comme le prouve l’engouement des consommateurs pour le Yukimi Daifuku de Lotte, une crème glacée enrobée d’une couche de mochi étonnamment moelleuse. Cette intrigante friandise a déjoué les conventions, puisqu’elle a été créée pour être appréciée en hiver, plutôt que pendant les mois d’été, plus classiques. Le mochi étant souvent consommé au Japon pendant les mois d’hiver, l’idée de le combiner avec une crème glacée était nouvelle et excitante. Une autre option créative est la tablette Itachoco, qui ressemble à une tablette de chocolat traditionnelle. Cette délicieuse confiserie ludique est produite par une société spécialisée dans les en-cas, qui souhaitait mettre en avant la sensation en bouche d’une tablette de chocolat. Selon M. Fukutome, les amateurs de sucreries peuvent s’attendre à un enrichissement des variations créatives de glaces jouant sur leurs attentes, par l’incorporation d’aspects tirés de snacks ou d’autres styles de desserts.

Yukimi Daifuku signifie « petite boule daifuku contemplant la neige », un clin d’œil au fait qu’il a été créé pour être dégusté pendant l’hiver.

Au cours d’une séance de dégustation décontractée avec des amateurs de sucreries du monde entier, M. Fukutome a également partagé plusieurs de ses recommandations personnelles avec ceux découvrant les glaces japonaises pour la première fois. Un participant chinois a croqué avec bonheur une tablette Itachoco, en faisant remarquer que la texture croquante d’une tablette de chocolat et l’onctuosité laiteuse de la crème glacée donnaient naissance à une association unique de textures et de saveurs. Une autre participante de Taïwan a eu l’occasion de goûter le sandwich à la crème glacée Biscuit Sand, qui l’a fait s’émerveiller en constatant que la partie du biscuit restait croquante et se mariait parfaitement avec la riche saveur de vanille de la crème glacée. Elle a également essayé un Yukimi Daifuku et relevé la remarquable consistance laiteuse de la crème glacée et la façon dont le mochi restait moelleux sans être collant.

Même si les exportations de glaces japonaises sont en augmentation, le meilleur moyen de profiter de la grande diversité de ces friandises glacées locales est de s’arrêter dans une supérette lors d’une visite dans le pays. « Mais n’oubliez pas que les glaces au Japon sont souvent ichi-go ichi-e (une occasion unique dans la vie) », avertit M. Fukutome, « si vous en voyez une qui vous tente, foncez, car elle ne sera peut-être plus là lors de votre prochain passage ! »

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