Wasabi de Shizuoka : découvrir la splendeur de l’« authentique wasabi »

Des rhizomes de wasabi fraîchement récoltés. Photo : Ville d’Izu

Le chef italien Giuseppe Molaro connut une carrière riche en voyages après avoir quitté Somma Vesiuviana, sa ville natale située au pied du Vésuve. Il rejoignit l’équipe du célèbre chef et restaurateur Heinz Beck, commençant dans les cuisines de La Pergola, un restaurant trois étoiles du Guide Michelin de Rome. Mais il avait de plus grands rêves. Lorsqu’il a eu vent du projet de M. Beck d’ouvrir un restaurant au Japon, M. Molaro lui a tout de suite indiqué qu’il serait prêt à tout pour pouvoir partir au pays du Soleil-Levant. « Je voulais vraiment aller au Japon », raconte-t-il. « J’étais fasciné par tout ce qui touchait à la cuisine japonaise, notamment la microsaisonnalité des ingrédients ainsi que les exceptionnels couteaux japonais. »

Une rencontre inoubliable avec une plante hors du commun

Après quelques passages dans des restaurants à Pescara, au Portugal ainsi qu’à Dubaï, le vent tourna enfin en faveur de M. Molaro, et il fut envoyé au Japon pour ouvrir Sensi by Heinz Beck, un bistro à Tokyo, en tant que chef. Peu après être arrivé sur place, il sortit pour aller manger des sushis, qui lui furent servis accompagnés d’un condiment des plus authentiques : du rhizome de Wasabia japonica, une plante originaire du Japon, fraîchement râpé. Ses précédentes dégustations de wasabi consistaient en des imitations préparées à partir de raifort, que l’on trouve habituellement vendues en tube ou sous forme de poudre, et ne l’avaient pas vraiment impressionné. « Cette fois, ça a été une expérience complètement différente », explique-t-il. « J’ai compris que ce n’était pas juste une épice, mais une saveur unique qui explosait en bouche pour dévoiler un riche umami. Cela venait compléter le plat de la plus belle des manières. »

Le chef italien Giuseppe Molaro, influencé par son intérêt pour les cuisines du monde, a ouvert le restaurant Contaminazione dans sa ville natale de Somma Vesuviana en 2019. Photo : Wearefactory

Cette rencontre marqua le début d’une relation approfondie avec la culture culinaire japonaise. « Je me sentais comme un gamin dans un parc d’attractions », confie-t-il. « J’avais une telle soif d’apprendre. La première année, je sortais tous les soirs après le travail pour dîner dehors, et c’est comme ça que j’ai appris à connaître les saveurs et ingrédients japonais ainsi que la façon dont les Japonais mangent. »

Bien que Sensi fût un restaurant italien, son menu reposait grandement sur l’utilisation d’ingrédients japonais. M. Molaro s’appuyait également sur son personnel japonais pour préparer des makanai (repas pour le personnel) et apprit ainsi beaucoup d’eux en matière de cuisine japonaise. « J’ai découvert comment faire ressortir l’umami et comment me procurer divers ingrédients. Et je voulais en apprendre encore plus. »

Une excursion révélatrice dans les champs de wasabi de Shizuoka

Sa curiosité le conduisit à voyager dans tout le Japon pour y rencontrer des agriculteurs et s’éduquer au sujet des nombreux ingrédients propres au pays, des techniques d’agriculture et de la philosophie culinaire. Un de ses voyages l’emmena jusqu’à Shizuoka, berceau de la culture traditionnelle du wasabi. « Je m’en souviens comme si c’était hier », dit-il. « J’ai pu sentir l’incroyable fraîcheur du wasabi dès que nous sommes arrivés sur le champ. »

Dans la ville d’Izu de la préfecture de Shizuoka, le wasabi est cultivé sur des lits de roche et de sable, où il est nourri par les nutriments qui proviennent des eaux cristallines de ruisseaux de montagne. Photo : Ville d’Izu

Guidés par un agriculteur, M. Molaro et son sous-chef ramassèrent des plantes de wasabi, les lavèrent et les râpèrent, avant d’en goûter la pâte fraîchement issue. « C’est quelque chose d’incomparable », précise-t-il en soulignant la fragilité du wasabi. « Il change très rapidement et ne serait-ce qu’un jour plus tard, il sera complètement différent. »

Les fermes de wasabi de Shizuoka sont réputées pour leur culture traditionnelle selon la méthode tatami-ishi, mise au point il y a plus d’un siècle. C’est une méthode qui repose sur des terrasses à flanc de montagne construites en pierre et recouverte d’un sol sableux à travers lequel s’écoule une eau de source constamment fraîche, procurant ainsi des nutriments et de l’oxygène, sans nécessiter de fertilisation supplémentaire. La qualité et le rendement impressionnants, ainsi que la biodiversité que ce système permet de préserver, ont conduit à l’obtention d’une certification en tant que Système ingénieux du patrimoine agricole mondial de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

M. Molaro fut également frappé par la diversité des saveurs qui naissent d’une seule plante. « Les différences étaient incroyables selon les parties de la plante. Certains morceaux étaient plus doux, tandis que d’autres étaient plus épicés. Nous avons même mangé des feuilles fraîches en guise de salade. »

Au Japon, quasiment toute la plante de wasabi est utilisée. Outre le rhizome, généralement dégusté râpé, les fleurs servent également de garniture ou peuvent être préparées en tempura. Photo : Ville d’Izu

De retour à Tokyo, il se sentait tellement inspiré qu’il créa immédiatement un nouveau plat. « Nous servions un poisson à la peau croustillante, préparé avec une crème de chou-fleur et brocoli, que l’on agrémentait d’une mousse “neigeuse” de wasabi », se remémore-t-il. « La mousse au protoxyde d’azote était si froide que l’on ressentait une explosion de saveurs épicées en bouche, suivie d’une sensation immédiate de pureté fraîche. Cela donnait envie d’en manger encore plus. »

Retour au pays et continuité de ses influences

Un an et demi après être arrivé, M. Molaro fut promu au poste de chef exécutif du restaurant Heinz Beck de Tokyo. Après quatre ans et trois mois passés au Japon, il prit la décision de rentrer dans sa ville natale, en Italie, où il ouvrit son propre établissement très apprécié, Contaminazioni, en 2019. Ce nom particulier reflète sa conviction que ses expériences à l’étranger, où il a pu découvrir d’autres cuisines nationales, ont « contaminé » et enrichi sa cuisine italienne. « Mon style de cuisine est un mélange parfait de mes expériences aux quatre coins du monde », affirme-t-il. « Par exemple, j’utilise beaucoup de dashi de katsuo bushi pour l’umami, qui est quelque chose que j’ai acquis au Japon. Mais je m’inspire également d’influences espagnoles, portugaises et mexicaines, pour n’en citer que quelques-unes. »

Malheureusement, le wasabi supporte mal les voyages, particulièrement lorsqu’il s’agit de longues distances, et M. Molaro avoue qu’il se sent biaisé par son expérience à Shizuoka. S’il avait accès à de l’authentique wasabi, « un risotto serait un très bon choix ; peut-être avec une sauce au yuzu et une réduction de vinaigre balsamique vieilli pour atténuer le goût sucré et compléter la saveur du yuzu », dit-il. « Puis j’agrémenterai le tout d’un peu de wasabi, pour faire ressortir l’umami et obtenir une explosion de saveurs en bouche. »

Il ajoute qu’il aimerait aussi utiliser du wasabi avec du bœuf wagyu, un plat qu’il prenait plaisir à déguster au Japon. « Mais le wasabi s’accorde avec tout, même avec des desserts », continue-t-il. « On pourrait en mettre sur une glace ou faire un pain au chocolat très sucré fourré d’une ganache au wasabi. Je serais curieux de voir la réaction des gens qui y goûteraient si on ne leur disait pas ce qui est dedans. »

On trouve de la glace au wasabi dans de nombreuses boutiques de Shuzenji, un quartier de la ville d’Izu dans la préfecture de Shizuoka. Photo : Association touristique de la préfecture de Shizuoka

Pour terminer, lorsque nous avons demandé à M. Molaro ce qu’il aurait à conseiller à quelqu’un intéressé d’en apprendre davantage au sujet de ce merveilleux condiment, il n’a pas hésité un instant. « Il faut absolument se rendre dans une ferme de wasabi de Shizuoka », assure-t-il. « Il faut discuter avec les agriculteurs, goûter au wasabi frais et aller manger dans un restaurant local qui propose des plats au wasabi, notamment des soupes préparées à partir des feuilles. Cela permet de comprendre la différence entre les “faux” wasabi, que l’on trouve un peu partout dans le monde, et le wasabi authentique. »

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