L’évolution de l’introduction de la cuisine japonaise en France et les tendances actuelles

Arrivée de la cuisine japonaise

L’histoire de l’introduction de la cuisine japonaise en France remonte au début du XXe siècle. Mais cette cuisine est longtemps réservée à ceux qui ont la chance de voyager au Japon ou d'habiter dans la capitale, ce qui leur permet de se rendre dans les quelques rares restaurants qu'on y trouve comme par exemple Takara, ouvert en 1963. On peut dire qu'un grand pas est franchi dans les années 1980. Les restaurants japonais, dont la clientèle majeure est jusqu'alors constituée d'expatriés japonais commencent à s'implanter en nombre, et la pâtisserie Toraya – une institution au pays du Soleil-levant – ouvre un établissement d’une délicate élégance extrême-orientale dès 1980. La société Matsuri Sushi (qui compte aujourd’hui treize restaurants dans l'Hexagone) est fondée en 1986 par un couple franco-japonais, et des chaînes de restaurants japonais gérées par des Chinois résidents en France apparaissent à cette même période. D’autres enseignes françaises comme Sushi Shop (entreprise créée en 1998, aujourd’hui 135 points de vente et présente dans dix pays) s’ensuivent. Or la plupart de ces chaînes proposaient toutes plus ou moins les mêmes menus, composés notamment de sushi au saumon et de brochettes de bœuf au fromage (spécialement inventées pour s’adapter au goût français) agrémentés d’une soupe miso instantanée. Ce n’était certainement pas là le traitement adéquat qu'il fallait réserver à la cuisine japonaise, mais la compréhension que les Français avaient des cuisines asiatiques en général était encore sommaire. Si à Paris on pouvait acquérir quelques produits nippons, dans les villes de province, il était difficile d'en trouver et, souvent, les épiciers asiatiques ne proposaient au mieux que de la sauce soja sucrée, du saké pour la cuisine et des nouilles instantanées.

Un ensemble de sushis, de brochettes de bœuf au fromage et de yakitori provenant d'une chaîne de restaurants japonaise.

Les nouvelles tendances nées grâce aux échanges culturels

Pendant ce temps-là, les échanges culinaires entre les deux pays continuent, même si le résultat de ces échanges ne se voit pas immédiatement. Dans les années 1970, après avoir été invités au Japon par l’école culinaire Tsuji, des chefs français commencent à développer un vif intérêt pour la cuisine nippone – intérêt qui aurait même été l’un des déclencheurs du mouvement de la Nouvelle Cuisine.

Dans les années 1980, le nombre de jeunes cuisiniers japonais en formation dans les restaurants français en France augmente et leur présence permet aux cuisiniers français de découvrir les condiments nippons ou les ustensiles de cuisine propres au Japon.

Cette tendance évolue encore dans les années 2000. À l’époque, de jeunes talents japonais décident de s’installer en France pour ouvrir leurs propres restaurants français d’inspiration nippone. Les Français qui dégustaient leur cuisine ont découvert que les saveurs délicates liées à l'esprit de la cuisine japonaise se ressentaient également à travers la cuisine française et ont commencé à s'intéresser à la gastronomie japonaise en général. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des restaurants gastronomiques français tenus par des chefs japonais décrocher des étoiles, et cela n'est pas prêt de s’arrêter.

Mais au niveau national, il est surtout à signaler que la nouvelle tendance qui pointe son nez depuis une dizaine d’années c’est la cuisine populaire. Elle est d’abord soutenue par le nombre croissant de personnes qui apprennent le japonais, ont séjourné au Japon et ont eu l'occasion d’être en contact avec la vie quotidienne des Japonais. Des étudiants universitaires, mais également des chefs français, parmi d'autres, partent parfois se former au Japon et découvrir la culture culinaire locale. Ce sont ces derniers qui, après leur retour au pays, ouvrent des boulangeries proposant des shokupan, des bistros façon izakaya ou confectionnent des misos artisanaux ou des sakés français, aussi bien à Paris que dans les villes de province.

Les Français familiarisés avec la culture populaire japonaise

Le nombre de voyageurs français au Japon augmente également. Ils découvrent des mets jusqu’alors méconnus en France, appartenant à la cuisine populaire et accessibles pour les touristes. Le râmen, l’udon, l’okonomiyaki, l’omurice, le kara’age, le curry japonais… Les encas qu’ils s’achètent dans les konbini ou dans les supermarchés peuvent potentiellement constituer un répertoire dont les goûts leur sont familiers : l’onigiri ou encore le sando (et notamment le tamago-sando qui n'existait pas encore en France) sont d'ailleurs les sandwichs à la japonaise en vogue ces derniers temps.

Le râmen est un plat bien connu depuis une dizaine d'années. Non seulement on assiste à l’augmentation des restaurants proposant ce type de nouilles à Paris et dans les autres grandes villes, mais on trouve aussi dans le commerce plus de quarante sortes de nouilles instantanées, ce qui montre la popularité de ce plat partout en France.

Cette mode de la cuisine japonaise n’est pas sans rapport avec l’approfondissement de la compréhension de la culture nippone en France. D’abord conquis par le kabuki, le nô, la grande littérature introduite comme une forme artistique traditionnelle éloignée de la leur, les Français d’aujourd’hui assimilent plus spontanément la culture populaire, proche de la vie des Japonais : manga, feuilleton télé, musique de variété… D’ailleurs, parmi les produits qui ont fait leur entrée dans la scène culinaire de l'Hexagone, plusieurs ont été représentés dans des œuvres de fiction, comme le dorayaki dans le film Délice de Tokyo ou les petits mets qui accompagnent les sakés dans le manga Cantine de minuit.

Ramen

Sando

D’« aller manger japonais » à « préparer des mets japonais chez soi »

Cet engouement pour la cuisine nippone se traduit également par la publication massive de livres de recettes (tantôt écrits par des Français adaptant les recettes à la française, tantôt par des Japonais habitant en France qui connaissent les goûts des Français), et aujourd’hui de plus en plus par des traductions de livres de recettes japonais.

Ces publications se font en parallèle à la commercialisation plus répandue des produits nippons en France. Autrefois, même si on souhaitait préparer soi-même des plats japonais, il était difficile d'en trouver les ingrédients si on n’habitait pas à Paris. Mais aujourd’hui, plusieurs sites comme Nishiki-dôri, Kioko ou Umami proposent un large choix de spécialités japonaises et d'ustensiles de cuisine en ligne. Dans les boutiques de produits naturels, on trouve également de la sauce soja, de l’huile de sésame, du riz rond, du tofu, parfois même du « gomasio » ou des algues car ceux-ci sont devenus indispensables aux amateurs de cuisine saine.

Ainsi, il est désormais plus facile de cuisiner chez soi pour ceux qui souhaitent « manger japonais » mais ne trouvent pas de restaurants à proximité, et cela contribue aussi à rendre la cuisine nippone populaire partout en France. Il existe même une série de livres de cuisine, reproduisant les mets qui apparaissent dans les mangas, vendue à des dizaines de milliers d’exemplaires. De nos jours, il n’est donc pas rare que les adolescents préparent, pour leurs parents le dimanche, des yakisoba ou des matcha milk shake.

Le bento devenu populaire

Une autre tendance a contribué à ce que les Français se familiarisent avec la cuisine japonaise. C’est l’apparition des bentos. Les Français adorent entendre dire qu’au Japon, les mamans préparent des bentos en forme de mascottes pour leurs enfants, ou qu’ils peuvent acheter des bentos aux couleurs locales au cours de leur voyage.

Ce mot signifie deux choses : contenant (boîte) et contenu (nourriture), et dans les deux cas, il est parfaitement adapté à l’air du temps. Certains se procurent d'ailleurs de jolies boîtes de bento fabriquées au Japon pour y mettre leur casse-croûte, même s’il ne s’agit pas forcément de cuisine nippone. Ces boîtes suscitent aussi l’intérêt des Français parce qu’elles répondent au besoin écologique de la société d’aujourd’hui ; on peut en effet réutiliser le contenant et les couverts.

Les bentos en vente dans les restaurants ou chez les traiteurs sont également appréciés. Équilibrés au niveau nutritif, ils sont aussi agréables à regarder qu'à déguster. Des médias français mentionnent même l’existence d’ekiben au Japon, ces bentos avec des spécialités régionales qu’on peut acheter dans les gares. D’ailleurs, certains ekiben ont déjà été vendus à la gare de Lyon à Paris. Pendant la période du Covid, on a beaucoup entendu ce terme « bento » car parmi les plats à emporter proposés par les restaurateurs, cette boîte-repas de style japonais était évidemment le plus approprié à une dégustation tranquille à la maison, même froid, sans que ni son goût ni sa texture ne soient altérés.

Les boîtes à déjeuner devenues populaires en France

Les nouvelles tendances

Parmi les « produits japonais » en vogue en France, le plus connu est sans aucun doute le mochi glacé. Aujourd’hui, lorsque les Français parlent de « mochi », il s’agit dans la plupart des cas d'un produit où la glace est enrobée dans de la pâte sucrée préparée à partir de riz gluant. Comme pour le sushi, l'entreprise britannique Little Moons ou des marques françaises telles que Tiliz ou Exquis Mochi ont largement contribué à populariser le mochi.

Il serait facile de dire que ces mochi ne sont japonais que par le nom car ils utilisent comme farce du lait de coco, de la glace mango ou de la glace au chocolat à la place des haricots rouges. Mais ils jouent un rôle indéniable dans l'élargissement du cercle des amateurs de cuisine japonaise et servent de préliminaires, grâce à une large distribution et à un prix abordable, pour ensuite aiguiser leur curiosité et les inciter à découvrir les vrais daifuku dans les restaurants japonais ou les pâtisseries nippones artisanales telles que « Tomo » ou « La maison de mochi ».

L’onigiri fait également partie des mets qui plaisent beaucoup aux Français. Au pays du Soleil-levant, les boutiques spécialisées en onigiri sont en augmentation depuis presque dix ans et c’est un plat dont on ne cesse de parler ; on a inventé des « onigiris de luxe » qui utilisent des ingrédients originaux, et une boutique d’onigiri à Tokyo figure même dans le guide Michelin. Les pays étrangers n’ont pas été indifférents à cette vogue puisqu'on trouve depuis peu des onigiri dans les supermarchés, les kiosques des grandes gares ou les aéroports en France. Des magasins spécialisés en onigiri ont également fait leur apparition, et il est dorénavant possible d'en commander dans les restaurants façon izakaya. Les raisons de son succès sont multiples : sans gluten, basses calories, la variété de ses saveurs fait qu’à la fois les végétariens, les végans ou d’autres personnes sous régimes spéciaux peuvent y trouver leur bonheur, et il permet d'inventer des saveurs qui plaisent aux Français telles que thon mayo, poulet mayo, bœuf teriyaki, saumon fromage… Il faut également souligner que le sushi avait déjà préparé le terrain à la popularisation de la consommation de riz, et de ce fait facilité la mode de l'onigiri.

Onigiri

Les tendances au-delà des frontières

Ces mets en vogue aujourd’hui le sont également dans d’autres pays européens et asiatiques. Derrière la mode d’un plat, il existe toujours plusieurs facteurs et, les informations circulant et re-circulant via les réseaux sociaux à la vitesse de l’éclair, il serait tout à fait possible de voir un produit japonais populaire au Japon soudainement à la mode à l’étranger, ou d’assister au boom d’un plat inattendu pour les Japonais. Quoi qu’il en soit, c’est un bon signe car ceux qui n’étaient jusqu’alors pas forcément intéressés par la culture japonaise pourront ainsi la découvrir. Il est donc tout à fait légitime d'espérer que le nombre de Français férus de cuisine japonaise augmente encore, et qu’ils achètent des produits japonais ou se rendent dans des restaurants qui conviennent au mieux à leur style et à leur budget.

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