KIOKO,La superette japonaise la plus célèbre de Paris

Des épiceries japonaises, il en existe plusieurs à Paris, et dans différentes villes de France. Mais il en est une pas comme les autres, au 46 rue des Petits-Champs (Paris 2e), à deux pas de l’avenue de l’Opéra. Kioko est une institution. Depuis plus de 50 ans, les Japonais vivant dans la capitale et les Français amoureux du Japon vont faire leurs courses « chez Kioko ». Le magasin d’une superficie de 150 m2 est fonctionnel, sans fioriture, agencé à la japonaise. L’espace est rentabilisé pour y loger un maximum de produits. Visiblement étiquetés, bien alignés, ils finissent au fond du panier en plastique jaune saisi dès l’entrée, avant de passer, en fin de parcours, à l’une des deux caisses. Pas de place pour un caddie. Après avoir fait, au rez-de-chaussée, le tour des premiers rayons garnis d’une impressionnante quantité de thé, de pâte de haricot rouge (yokan), de senbei, gâteaux et confiseries. Après s’être demandé quelle sauce soja choisir, quel type de mirin ou de vinaigre, quel jus d’agrume. Après avoir hésité entre le miso noir, le rouge ou le blanc, le tofu en tétrapack ou frais, sous la marque Kioko, et examiné les sachets de tsukemono (légumes marinés)... Après avoir longé de grands frigos et pris au passage un sac de gyoza surgelés. Après s’être laissé tenter par un morceau de daikon, des feuilles de shiso et de beaux bourgeons de myoga, ou de petits kabocha (potirons). Après être passé devant les sacs de riz posés au ras du sol, le circuit se poursuit à l’étage. Au fond du magasin, un étroit escalier carrelé mène aux paquets de nouilles et autres Cup noodles côtoyant les algues, les furikake et le curry japonais, puis la vaisselle et les ustensiles indispensables pour cuisiner japonais chez soi.

À l’origine de cet incontournable magasin parisien se trouve la société japonaise d’exportation de produits d’alimentation Yoshikawa Corporation, fondée en 1957. Dans les années 1970, les produits alimentaires japonais s’exportent surtout vers les États-Unis. Or, Kiyoshi Yoshikawa, le fondateur de la société, s’intéresse à l’Europe. Il existe des épiceries japonaises à Düsseldorf et à Londres, où vivent d’importantes communautés japonaises, mais pas à Paris. D’où l’idée de s’y implanter. Le premier Kioko – baptisé ainsi en l’honneur de la femme du PDG (Kyo) – ouvre en 1972, non loin du Panthéon, au cœur de la capitale. En 1989, Kioko déménage près de la rue Sainte-Anne, devenue l’épicentre du quartier japonais de Paris. Depuis lors, d’autres boutiques d’alimentation japonaise ont vu le jour.

À mi-chemin entre le supermarché et le konbini, commerce de proximité ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au Japon, Kioko propose les produits alimentaires que l’on utilise au quotidien. Il a quelques années, la clientèle de Kioko se partageait grosso modo à égalité entre Japonais et Français. Mais ces derniers se font de plus en plus nombreux, et représentent aujourd’hui 70 % des clients. Selon M. Kojiro Fujimoto, gérant de Kioko, cette évolution serait due non seulement à une moins grande présence d’expatriés japonais à Paris, mais surtout au nombre croissant de Français s’intéressant au Japon (les actuelles générations de trentenaires et quadragénaires biberonnés aux manga et films d’animation japonaise) et à ceux qui se sont rendus – ou se rendent régulièrement – en touristes dans l’Archipel. De retour en France, ils n’ont qu’une envie : cuisiner les plats qu’ils ont savourés au Japon. Kioko est alors l’endroit idéal pour retrouver l’ambiance japonaise et, à un prix abordable (sans compter les promotions régulières), la plupart de ces produits qu’on aurait tant aimé rapporter dans sa valise, décidément toujours trop petites quand on repart du Japon.

Si le magasin d’Opéra s’adresse aux particuliers, Kioko est avant tout une entreprise d’importation et un grossiste de produits japonais destinés aux professionnels de la restauration, proposant une large gamme de produits alimentaires en petit ou gros conditionnement. Kioko dispose à Vitry-sur-Seine, au sud-est de Paris (Val-de-Marne), d’un entrepôt de 4 180 m2, ainsi que de sa propre société de transport qui effectue les livraisons dans toute la France et à Monaco, ainsi qu’en Belgique et au Luxembourg. Des prestataires prennent le relai pour desservir les pays de l'Union européenne : l'Allemagne, la Suisse, l'Autriche, ou encore la Pologne.

Kioko, c’est aussi un site de vente en ligne. Pour d’évidentes raisons de logistique, la gamme de produits proposés est un peu moins large que celle disponible en magasin et sur son catalogue où figurent 2 000 références, mais ce site permet à ceux qui ne sont pas parisiens de commander ces ingrédients introuvables dans leur région.

Depuis le 6 janvier 2023, Kioko dispose d’une nouvelle boutique 20 rue Malher, en plein quartier du Marais (Paris 4e). On y trouve des produits d’alimentation japonaise, et même quelques légumes et surgelés, mais « Kioko Saké Marais », comme son nom l’indique, met l’accent sur la boisson emblématique du Japon : le saké. Dans de larges vitrines réfrigérées, indispensables pour une bonne conservation, environ 140 de bouteilles sont classées par préfectures, en partant du sud de l’Archipel, pour aller vers le nord. La fourchette des prix s’étend d’un peu moins de 20 euros à une centaine d’euros. Si les Parisiens sont de plus en plus nombreux à connaître et à apprécier le saké, le choix d’une bouteille n’a rien d’évident, vu la grande diversité des sakés et la complexité de leur méthode de fabrication. Les différentes catégories, la variété de riz utilisée, le degré de polissage des grains, les techniques de production... restent souvent difficiles à appréhender pour les Français. D’où l’utilité d’avoir accès aux conseils avisés d’un vendeur. Il est bien sûr impossible de goûter tous les sakés, mais les indécis pourront faire une petite dégustation à partir de quelques bouteilles ouvertes à cette intention, avant de se décider et de passer à l’achat. Une façon également pour Kioko de contribuer à l’initiation des néophytes et d’affiner le palais des clients qui se laissent séduire par les subtilités et les qualités gustatives insoupçonnées du saké japonais. Sur une superficie de 70 m2, la boutique spécialisée du Marais propose une gamme de saké deux fois plus étoffée que dans son magasin situé près d’Opéra où la place manque pour exposer la grande variété de bouteilles dont dispose Kioko sur son catalogue.

Outre les indispensables ingrédients dont ils ne peuvent se passer pour cuisiner, les Japonais vivant à Paris trouvent aussi chez Kioko de quoi nourrir leur nostalgie. Exemple : le natto, cet aliment japonais traditionnel – excellent, dit-on, pour la santé – originellement fabriqué, selon la légende, dans la préfecture d’Ibaraki. À base de graines de soja fermentées, il est souvent dégusté dans les familles au petit-déjeuner. De même, comme le souligne M. Fujimoto, la clientèle achète de plus en plus de riz japonais, dont le goût, selon Kioko, est « unique au monde ». Après en avoir mangé, les Français ont bien du mal à revenir au riz « Uncle Ben’s » de leur enfance et n’hésitent plus à faire l’acquisition d’un sac de cinq kilos qu’ils auront à disposition chez eux, pour en manger à satiété.

En raison de l’évolution de la société, des normes, des modes et des conditions environnementales, Kioko s’adapte à une clientèle française de plus en plus exigeante en termes de qualité et de durabilité et propose quelques produits bio. Si la cuisine japonaise continue d’être assimilée à une nourriture saine pour l’organisme, on sait aujourd’hui que les produits chimiques et les pesticides restent largement utilisés par l’industrie agro-alimentaire au Japon – en France aussi, d’ailleurs. Même chose pour les additifs. D’où cette volonté de Kioko de proposer, entre autres, du thé vert et du miso bio. Ces dernières années – et notamment depuis l'entrée en vigueur, au niveau européen, du règlement interdisant l'importation dans l'UE de tous les produits contenant du lait, des œufs, du poisson, de la viande de bœuf ou de la gélatine animale – de nombreux produits concernés en provenance du Japon ont disparu des rayons de Kioko. D’autres ont fait leur apparition, à base d’ingrédients végétaux.

Comme un retour aux sources et à l’essentiel auquel Kioko s’associe volontiers afin de satisfaire une clientèle française de plus en plus préoccupée – à juste titre – par les problèmes environnementaux et l’impact de certains produits manufacturés sur leur santé. Les mêmes, par ailleurs, ne rêvent que de prendre l’avion pour aller ou retourner au Japon, et raffolent de ces ingrédients ayant parcouru 11 000 km pour atterrir dans leur assiette. Personne n’est à l’abri de « petites contradictions »... Au moins, aller faire ses courses « chez Kioko », c’est basculer, immédiatement et à moindre frais, en terre nippone !