Un nouvel avenir pour les ingrédients japonais, inspiré des méthodes de cuisson primitives
Le restaurant 367 (365+2) s’est imposé comme un lieu où les clients peuvent goûter à une gastronomie locale qui trouve ses racines dans le climat, la culture et l’histoire de la région. Le restaurant 367 (365+2) se trouve à l’intérieur de l’hôtel Matsumoto Jujo, situé au centre d’Asama Onsen, un quartier de sources chaudes riche d’une histoire de 1 300 ans, dans la ville de Matsumoto de la préfecture de Nagano. Au centre de la cuisine ouverte se trouve un large foyer ouvert, qui reste allumé même en été, et les crépitements occasionnels du bois qui brûle produisent un son plaisant. Devant le feu de bois, le grand chef du restaurant, l’Américain Christopher (Chris) Horton, agite rapidement son éventail, le front perlé de sueur sous l’effet de la chaleur intense.
Le nom du restaurant, 367 (365+2), vise non seulement à exprimer le climat japonais qui change tous les jours – 365 jours par an –, mais aussi à offrir un sentiment d’histoire et de culture (+2). Il représente également les 367 kilomètres de longueur totale du fleuve Chikuma, aussi appelée fleuve Shinano, qui traverse la région de Shinshu et compte parmi les plus grands fleuves du Japon. En plus des aliments de la région de Shinshu, foisonnante de produits, un certain nombre d’ingrédients provenant de la montagne, de la rivière et de la mer, qui varient subtilement le long de ce grand fleuve, sont incorporés à la cuisine, emmenant ainsi les convives dans un magnifique voyage qui s’étend des sources de Yatsugatake et du nord des Alpes japonaises jusqu’à la mer du Japon et à l’île de Sado. Ces variations témoignent de la topographie unique du Japon et constituent un microcosme de la richesse de la nourriture japonaise.
Les trois thématiques qui constituent le menu du dîner – à savoir « de la ferme, de la mer, des pâturages » – sont le résultat des rencontres permanentes de Chris avec des ingrédients, ainsi que de ses recherches et découvertes au sujet de leur potentiel.
Le mille-feuille de carottes, une entrée phare de l’établissement, met en valeur des carottes de Nagano tranchées, auxquelles sont ajoutées par couches successives de la purée de thym, de gingembre, de sauge, d’ail, etc., puis le tout est cuit lentement à basse température. En plus de la douceur et de la saveur dynamique de ces carottes qu’on ne trouve qu’au Japon, l’ajout d’une très petite quantité de sauce soja à la purée en guise d’ingrédient secret donne de la profondeur à leur saveur. Accompagné de fromage frais, produit dans une ferme voisine, ce plat fait vraiment ressortir la saveur extraordinaire de ses ingrédients.
Au bord du foyer se trouve le plat principal, du porc d’Azumino élevé en plein air, grillé au charbon de bois et lentement fumé avec du charbon de bois de cerisier tardif parfumé.
« Le porc japonais élevé dans un bon environnement est tendre et ne présente aucune odeur indésirable. Par-dessus tout, il bénéficie du meilleur goût qui soit ; il est si délicieux que sa graisse est juste fondante. Le fumer lentement concentre sa saveur, lui conférant ainsi une profondeur de goût qui le fait passer à un niveau supérieur. »
Le bois utilisé pour le feu est du chêne et du cerisier tardif, coupé sur un flanc de montagne à proximité et convenablement séché avant d’être utilisé. Non seulement l’arôme du bois, mais aussi la quantité de chaleur produite fluctuent légèrement en fonction de la taille et de la teneur en humidité du bois, ce qui constitue probablement la plus grande difficulté de la cuisson au feu de bois. Le faire griller à feu ouvert nécessite du temps pour le préparer, c’est pourquoi c’est un plat qui demande d’être minutieusement calculé.
« Quand on cuisine au feu de bois, la préparation du bois tout comme la cuisson nécessitent beaucoup de temps, je réfléchis donc toujours 30 ou 40 minutes à l’avance. Le bois fraîchement allumé et les braises de charbon de bois diffèrent complètement en termes de chaleur produite et d’arôme. »
Prenez place au comptoir qui fait face au foyer et regardez Chris s’occuper constamment du bois pour le feu, alors que chacun des magnifiques plats vient vous émerveiller. Au moment où vous porterez la dernière cuillère de dessert à votre bouche, le bois aura brûlé jusqu’à ne laisser que des cendres d’un blanc pur, élégamment disposées le long du bord du foyer. Quel est le point d’origine de cette saveur si délicieuse, créée par une performance virtuose de la flamme ?
Originaire de Washington, DC, Chris est arrivé au Japon en 2014, à l’occasion de l’ouverture d’un hôtel de luxe à Tokyo, après avoir travaillé comme chef cuisinier dans un hôtel aux États-Unis. Après près de trois années passées à travailler dans cet hôtel de Tokyo, il a pris la décision d’intégrer le restaurant Inua, un restaurant de Tokyo jumelé au restaurant noma de Copenhague, au centre de l’attention du monde entier.
« Inua a été pour moi très riche en surprises. Mes expériences se sont entièrement construites autour de formidables souvenirs partagés avec l’équipe d’Inua. Le plus surprenant est qu’il n’y avait pas de cuisinière à gaz dans la cuisine. Il n’y avait qu’une plaque de cuisson à induction pour faire bouillir de l’eau et un foyer à bois. À l’époque, cela faisait déjà 18 ans que j’étais chef cuisinier, mais cela a bouleversé toute l’expérience dont je disposais. Plus que tout, c’était ce sentiment que la nourriture elle-même était en relation avec la nature. Des ingrédients aux méthodes de cuisson, l’état d’esprit et les sentiments dont faisaient part les chefs étaient tout simplement fondamentalement différents. »
Son expérience à Inua a permis à Chris de découvrir l’avenir de l’alimentation, plus précisément les concepts de cuisine primitive et de gastronomie locale. L’interaction concrète avec les autres, le rapprochement avec la nature et la possibilité de travailler avec d’excellents produits sont ce qui motive sa curiosité pour la gastronomie.
« Ce qui m’a étonné lorsque j’ai commencé à cuisiner au Japon, c’est le punch que renferme l’umami des assaisonnements fermentés tels que le miso, la sauce soja et le vinaigre. Bien qu’ils soient entièrement fabriqués à partir de céréales, leur saveur et leur intensité sont incroyables. Bien sûr, les ingrédients du Japon sont également délicieux lorsqu’ils sont frais, mais la fermentation crée un nouveau niveau de saveur, et les légumes auxquels nous pensons se lient alors à merveille avec nos plats principaux, intensifiant ainsi la présence des ingrédients. Chez Inua, nous visions à combiner la culture des aliments en conserve propre à la Scandinavie avec la culture japonaise des aliments fermentés. »
Les sauces issues du processus de fermentation et l’odeur du charbon de bois sont familières aux Japonais, mais les saveurs créées par Chris, qui met l’accent sur les différents niveaux d’umami, offrent une surprise à la fois douce et innovante.
« La rhubarbe de Shinshu, région où la production y est abondante, dévoile son meilleur goût lorsqu’elle est fermentée avec 4 % de sel à une température ambiante de 20 degrés pendant une semaine. Le temps de fermentation optimal pour les groseilles à maquereau est de 4 jours. Nous enregistrons le processus de fermentation de chaque ingrédient sous forme de données, et nous espérons à l’avenir installer une armoire de fermentation chaude et humide dans la cuisine. » Dans la réserve à l’ancienne de l’établissement, aux murs plâtrés, la production de cidre vient de débuter cet été, après que l’humidité et la température de chaque pièce ont été étudiées tout au long de l’année. Fabriqué en pressant le jus de pommes mûries par exposition à l’air extérieur, puis fermentées grâce à des levures, ce cidre est léger et rafraîchissant en bouche, et il se marie parfaitement avec les plats de légumes japonais.
« Les Japonais sont passionnés par la nourriture et sont très exigeants à ce sujet. Par exemple, aux États-Unis, les gens prêtent plutôt attention à la quantité – quelle quantité de nourriture est empilée dans chaque assiette –, mais, au Japon, l’attention se porte sur la qualité de chaque petite portion. J’en ai particulièrement fait l’expérience dans la quantité de sel que j’utilisais lorsque je suis arrivé au Japon en tant que chef cuisinier. C’était complètement différent de la quantité que j’utilise à présent. Dans le passé, je faisais tout mon possible pour créer des saveurs plus fortes et plus intenses, mais aujourd’hui, j’essaie de me restreindre et de réduire les quantités pour obtenir une saveur plus délicate. »
Chris vit au Japon depuis 17 ans. Il est surpris de constater à quel point la façon dont il passe son temps libre a changé : auparavant, il réservait habituellement une table dans un grand restaurant pendant ses jours de congé, mais aujourd’hui, lors de ses journées libres à Matsumoto, il a pris pour habitude de visiter des champs et des vallées où coulent des cours d’eau limpides.
« Avant que je vienne à Matsumoto Jujo, avec trois autres chefs avec lesquels je travaillais à Inua, nous avons voyagé dans tout le Japon pendant un mois. Nous sommes partis de Kyoto et avons visité Oita, Fukuoka, Hiroshima, Kochi, Kagawa... Nous voulions rendre visite aux producteurs japonais afin de savoir d’où venaient les ingrédients que nous utilisions. Ce voyage a été pour moi un point de départ pour comprendre l’excellence des ingrédients japonais, ainsi que pour me mettre à l’écoute des producteurs. J’ai vraiment eu l’impression que la sensibilité délicate des Japonais prenait vie dans les divers légumes produits avec soin au Japon afin de leur donner une douceur si profonde, ainsi que dans la délicieuse viande issue de recherches méticuleuses. Je veux prendre tous ces ingrédients que j’ai rencontrés, et les transformer en quelque chose d’encore meilleur. À l’origine, les gens cuisinaient afin de manger et de survivre, mais j’aime à penser que les saveurs délicieuses sont nées d’erreurs que nous avons commises, à maintes et maintes reprises. Parce que l’erreur d’une personne est la délicieuse découverte d’une autre. »
La différence entre faire des erreurs et faire de nouvelles découvertes est infime. C’est pourquoi il ne craint pas de faire des erreurs, de se confronter à de nouveaux ingrédients et de continuellement entreprendre de nouvelles recherches. Chris se consacre à la découverte de saveurs délicieuses qui n’ont jamais été goûtées auparavant, à la poursuite de la richesse et des méthodes de cuisson primitives propres aux ingrédients japonais.
Texte : Miki Suka Photographie : Taro Terasawa
Christopher Horton
Né à Washington, DC. Fasciné dès son plus jeune âge par le plaisir de cuisiner, il a commencé à travailler en cuisine à l’âge de 15 ans. Diplômé du New England Culinary Institute aux États-Unis, il a acquis de l’expérience à l’hôtel Mandarin Oriental ainsi que dans plusieurs autres restaurants réputés, avant de s’installer au Japon en 2014. Après avoir travaillé en tant qu’adjoint au chef au The Tavern - Grill & Lounge de l’hôtel Andaz Tokyo, il a affiné ses compétences en tant que chef à Inua, le restaurant de Tokyo jumelé au restaurant noma de Copenhague, qui a obtenu la première place à quatre reprises dans le classement des meilleurs restaurants du monde. En novembre 2020, il a été nommé grand chef (chef de cuisine) de l’hôtel Matsumoto Jujo, dans la ville de Matsumoto de la préfecture de Nagano.